La Récolte (une revue à la découverte de nouveaux textes)
Besançon : Les Solitaires Intempestifs, 144 pp
Par Selim Lander*
La Récolte est une publication annuelle lancée en 2019 par sept comités de lecture désireux de créer « un outil collectif au service de la promotion et la diffusion des écritures théâtrales d’aujourd’hui ». Chaque année, la revue présente ainsi de larges extraits de huit œuvres récentes, en principe inédites. Les textes sont accompagnés d’images, d’un entretien avec l’auteur et d’un article critique. En introduction de chaque numéro, un texte littéraire et un texte de réflexion sur les « Enjeux » de la création contemporaine sont confiés à des acteurs du théâtre.
L’examen des sommaires des deux derniers numéros (2023/N°5 et 2024/N°6), soit seize textes, montre un partage à peu près égal entre les sexes des auteurs (neuf hommes et sept femmes), avec quasiment la moitié d’auteurs étrangers ou non « hexagonaux » (australien, autrichien, italien, plus quatre, issus de la « Francophonie », comorien, congolais, haïtien, une autrice martiniquaise). À s’en tenir à ces deux numéros (nous ne disposons pas des précédents), on remarque un biais en faveur des auteurs « francophones », au détriment, si l’on peut dire, des auteurs « français » (quatre contre neuf, une proportion sans commune mesure avec la composition réelle du vivier d’auteurs qui se disputent une place sur la scène théâtrale française).
Ce biais ne peut pas s’expliquer seulement par la présence du comité de lecture du Festival des Francophonies (Limoges), puisqu’il ne compte que pour un parmi les sept qui composent la revue (soit À mots découverts, Comédie de Caen, Festival des Francophonies, Les Journées de Lyon, Texte en cours, Théâtre de la Tête noire, Troisième Bureau). Notons que ces sept s’adjoignent pour chaque numéro un autre comité, différent à chaque fois. En 2024, il s’agissait d’ETC_Caraïbe (ETC pour Écritures théâtrales contemporaines), basé à la Martinique, ce qui explique la sélection, cette année-là, de l’autrice martiniquaise. Au-delà d’un tel élément conjoncturel, le biais en faveur des auteurs « francophones » ne fait que refléter la sensibilité particulière de notre époque à l’égard des minorités.[1]
On ne saurait présenter tous les textes sélectionnés dans ces deux numéros de la revue. Disons simplement que l’on y découvre de vraies personnalités d’auteur, sur le plan de l’imaginaire comme de la langue, et que La Récolte a sa place dans toutes les bibliothèques consacrées au théâtre, chez les metteurs en scène, les critiques ou dans les institutions.
À titre d’exemple, on dira ici quelques mots de David à grande vitesse, une pièce pour la jeunesse de Clémence Attard qui raconte l’histoire d’un jeune garçon, passionné de football et fan de Karim Benzema, dont le père est arrêté par la police. Cette pièce véritablement polyphonique fait intervenir par exemple, au début de l’extrait reproduit dans la revue, David (caché sous sa couette), les policiers et les voisins (alertés par le vacarme), puis les camarades de collège de David, Karim Benzema et la maman dialoguant avec la direction du collège), etc.
Le texte est présenté sur trois colonnes, chacune avec sa langue propre.
Les toutes premières répliques des collégiens :
« Sarah. – Allô
Malik. – T’as parlé à ta daronne ?
Sarah. – Oui la merde
Malik. – Apparemment ils ont tout niqué chez lui
Sarah. – Bande de chiens
Malik. – Tu lui as parlé ?
Sarah. – Non bah non j’lui ai pas parlé pour lui dire quoi ?
Malik. – Chais pas qu’on est là quoi
Sarah. – Là quoi là où on va l’voir au collège t’façon j’vais pas l’appeler
Malik. – On fait quoi du coup ? »
Simple exemple, encore une fois, qui sans vouloir rendre compte de la diversité de ce numéro donnera peut-être envie de découvrir une revue qui a ses partis-pris mais propose des sélections d’un intérêt incontestable. Sachant que l’abondance des propositions de qualité reçues par les comités de lecture est telle que la difficulté n’est pas tant de choisir de bons textes que d’éliminer ceux, tout aussi bons sans doute, qui ne seront pas mis en lumière!
Note de fin
[1] Celle-ci se traduit dans la revue, de manière bien plus contestable, par la liberté laissée aux auteurs dans les commentaires et les critiques d’utiliser l’écriture inclusive (« elleux » et autres « iels »…) contre les instructions de l’Académie française (et le bon sens)…

*Selim Lander vit en Martinique (Antilles françaises). Ses critiques paraissent dans la revue électronique mondesfrancophones.com et dans la revue Esprit.
Copyright © 2024 Selim Lander
Critical Stages/Scènes critiques, #30, Dec. 2024
e-ISSN: 2409-7411
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