La danse élargit ses territoires : Évolution de la danse contemporaine en France au XXI siècle

Jean Couturier*

Resumé

La danse contemporaine s’ouvre de plus en plus à différents modes d’expression artistiques. Ces formes frontières posent parfois des soucis de classification entre danse, théâtre musique et performance, voici ces différentes formes qui occupent de plus en plus le devant de la scène.

Mots clés: Break dance, confinement, identité, dance et sport, compagnies indépendantes, dance et culture populaire, liberté d’expression, ballet classique, ministère de la culture en France, critique de danse

1. Le Break Dance ou Breaking né dans l’effervescence des fêtes de quartier du Bronx, issu de la culture hip hop est un style de danse né de la rue dans les années 70/80 aux États Unis. Elle acquière ses lettres de noblesse en France au début du XXI siècle avec des chorégraphes nommés à la tête d’institutions. Comme par exemple Kader Attou qui a été directeur du Centre chorégraphique national de La Rochelle de 2008 à 2021, où Anne Nguyen grande représentante de cette danse depuis 2005, elle a animé de 2012 à 2018 un atelier artistique sur la danse hip-hop à Sciences Po Paris. Mourad Merzougi directeur du Centre Chorégraphique de Créteil et du Val de Marne, et d’autres artistes font partie de cette mouvance. Comme lui ils ont des pratiques multiples provenant des arts du cirque et des arts martiaux. Le festival Suresnes Cité Danse qui fête sa 31 ème édition est symbolique, en 1993, Olivier Meyer crée le festival Suresnes Cités Danse. Né de la rencontre, en juillet 1991, avec Doug Elkins, jeune chorégraphe new-yorkais et hip hoper, Né à la fin du XX eme siècle, ce festival dédié aux danses urbaines est un laboratoire d’expérimentation favorisant ces nouvelles formes chorégraphiques. Plus récemment les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont placé le Break Dance comme épreuve olympique qui se déroulera place de la Concorde tout un symbole ! 

Portrait, chorégraphie de Mehdi Kerkouche, Cie EMKA. Photo : Julien Benhanou

2. Danse et confinement, des individualités artistiques se sont fait connaitre également pendant le confinement. Leurs danses diffusées par l’écran numérique ont connu des milliers de spectateurs. On pense en particulier à Mehdi Kerkouche, ce touche à-tout de trente-six ans : cinéma, télévision, comédie musicale, publicité… a en 2020 lancé, avec ses vidéos “confinées », devenues virales, le festival numérique « On danse chez vous » pour venir en aide aux personnels soignants pendant la crise sanitaire. Une action renouvelée en 21 et 22 a permis aux lieux culturels qui avaient été fermés de survivre et il a récolté vingt-cinq mille euros, via la diffusion numérique auprès de la Fondation de France pour aider les étudiants en situation de précarité.

3. Danse et identité, le voguing est une danse identitaire créée par la communauté noire LGBT en réaction au racisme et à la discrimination, dans les années 70 à New York. Elle apparait en France au début des années 2000. Trajal Harrel est un digne représentant de ce mouvement, actuellement en résidence à Zurich, il a crée un spectacle « The Romeo » pour le festival d’Avignon 2023 dans la cour d’honneur du Palais des papes.                                                                                        

La danseuse Naomi Much. Photo, graphisme et affiche : Jean Couturier

4. Dance et sport, du fait des Jeux olympiques en France en 2024, l’association entre danse et sport est aujourd’hui très forte puisque qu’une partie des subventions iront à des projets liants l’artistique et le sport. De grandes institutions comme le Théâtre de la Ville où Chaillot – Théâtre national de la Danse, avec leurs programmations vont ainsi glorifier l’association entre le mouvement dansé et le mouvement lié à la pratique sportive.   

5. La difficulté d’existence des compagnies de danse indépendantes en France comme de la remise en cause pour des raisons budgétaires des troupes de ballets liées aux Opéras est à mettre en parallèle avec la multiplication du spectacle solo chez le danseur, toujours pour des questions de coût d’exploitation. Trois exceptions, le Ballet indépendant d’Angelin Preljocaj est encore invité par de nombreux théâtres mais il diffuse aussi ses pièces dans le monde entier. La troupe de la Horde du Ballet national de Marseille qui a intégré ces nouvelles formes au sein de ses productions. Et le Ballet de l’Opéra du Rhin de Bruno Bouché qui compte tenu de sa situation géographique s’est ouvert à ses partenaires européens. Il compte 32 danseurs de formation académique venus du monde entier et forme un véritable ballet européen du XXI eme siècle.

Portrait, choréographie de Mehdi Kerkouche, Cie EMKA. Photo : Julien Benhamou

6. C’est donc un constat la danse contemporaine a explosé ses frontières et ses modes de communication. De nombreux autres exemples de compagnies existent dans ces formes bien sûr.  La profession de foi de Rachid Ouramdane, Président directeur général Chaillot – Théâtre national de la Danse, lors de sa présentation de saison 2023/2024 est de ce point de vue très significative.

« Plus que jamais la danse élargit ses territoires. On danse avec des stars à la télévision, on échange des chorégraphies sur TikTok, on organise des rassemblements sauvages en pleine nature pour danser sur des rythmes électro, des breakers se préparent à rejoindre les Jeux Olympiques, les designers de mode rénovent avec les défilés chorégraphiés des années 1990, la communauté voguing continue d’investir des lieux emblématiques de la capitale pour créer des espaces « safe » et afficher les genres en toute liberté, des centres de soins utilisent la danse pour faire face à des pathologies …La danse, les corps des danseurs et danseuses sont aussi des lieux de revendication et de combat pour la liberté d’expression: les activistes protestent en dansant en tête de cortège, en Iran on enferme un couple qui a osé danser dans l’espace public, on danse dans la rue pour la marche des fiertés. Autant d’actions qui portent nos singularités, différences, sensibilités, fragilités, engagements ou contradictions. »

Cette position louable présente un écueil, le risque de se couper du public habituel de la danse, qui ne trouve pas ses repères dans la nouvelle programmation dont une partie est fondée sur de l’animation culturelle. La communication de cette institution le dit, le projet Chaillot est ouvert sur un nouveau public moins habitué à la culture. De ce fait ce sont parfois les médias plus généraux et sportifs du fait de l’actualité … qui sont privilégié plutôt que la critique savante de danse.

Portrait, choreographie de Mehdi Kerkouche, Cie EMKA. Photo : Julien Benhamou

7. Et Quid de la danse classique ? Celle-ci est toujours représentée principalement par la troupe du Ballet de l’Opéra national de Paris et quelques autres troupes, comme ceux du Ballet de l’Opéra national du Capitol de Toulouse et du Ballet de l’Opéra de Bordeaux. Dans ce domaine historique de la danse, les restrictions budgétaires se font également sentir. Depuis plus de cinquante ans, on ne voit à l’Opéra de Paris que les chorégraphies de Rudolf Noureev pour des raisons de droit, mais aussi pour diminuer les coûts de production. Les décors et les costumes parfois pour des centaines de danseurs ont déjà été amortis. Quel que soit les pièces, le public de l’Opéra de Paris, « Balletomane » se presse à chacune des représentations, et ces programmes affichent complet. Don Quichotte, Casse-Noisette et Le lac des Cygnes sont programmé cette année 2024 par José Martinez le nouveau directeur de la danse de l’Opéra de Paris. Nommé aussi pour redonner une unité à la troupe, il a été en tant que danseur un grand serviteur de la danse classique. D’autres anciens danseurs de l’Opéra comme Marie Agnès Gillot, où François Alu se sont ouverts, non sans déclencher certaines polémiques, à d’autres formes de danse plus médiatiques.

Marie Agnès Gillot, ancienne danseuse de l’Opéra National de Paris. Photo : Julien Benhamou

8. La Danse en France est du domaine de compétence du ministère de la Culture.

Ce ministère à propos de la Danse souligne l’importance de l’histoire de la danse à travers ses lignes sur son portail internet :

« L’art de la danse a été très tôt une préoccupation de l’État puisque c’est en 1661 qu’est fondée l’Académie royale de danse par Louis XIV. Au début du XXe siècle, la danse a sa place essentiellement dans les maisons d’opéra des grandes villes de France, toutes dotées d’un corps de ballet, et à l’Opéra de Paris qui dispose d’une compagnie de notoriété internationale. Dès les années 1970, le ministère de la Culture s’est appuyé sur le réseau des maisons de la culture pour accompagner le développement de nouvelles esthétiques chorégraphiques et initier un mouvement de «  décentralisation chorégraphique  », tel que celui mis en œuvre pour le théâtre à l’après-guerre.  Il a accompagné aussi la mutation de certains ballets d’opéras en entités indépendantes et créé en partenariat avec quelques grandes villes des entités ex-nihilo : Ballet théâtre contemporain (créé en 1968 et implanté dans la maison de la culture d’Amiens puis à Angers à partir de 1972), Ballet de Marseille (créé par Roland Petit en 1972), Ballet théâtre du Silence à la Rochelle en 1972, les compagnies de Gigi Caciuléanu implantée à Rennes en 1978, Dominique Bagouet à Montpellier en 1980, ou Maguy Marin à Créteil en 1981. Une seconde phase s’ouvre dans les années 80 avec la formalisation du label Centre chorégraphique national (CCN). Cette appellation délivrée par le ministère de la Culture est donnée à des entités constituées durant la période précédente tandis que de nouvelles implantations concertées avec les collectivités territoriales sont engagées. Dirigés par des artistes chorégraphiques représentant une grande diversité des langages et des formes de la danse, les CCN mènent avant tout une activité de création et de production de spectacles chorégraphiques mais assurent aussi des missions de soutien à des compagnies indépendantes, de développement d’actions culturelles, de formation professionnelle, de sensibilisation à la danse, et pour certains, de programmation artistique. La carte de France compte aujourd’hui 19 Centres chorégraphiques nationaux. En 1995, le premier Centre de développement chorégraphique (CDC) est créé à Toulouse.   En 2016, ce réseau d’établissements se voit conférer le label national. Les 13 CDCN aujourd’hui présents sur le territoire national inscrivent au centre de leur action le soutien à la création et à la diffusion chorégraphique dans sa diversité, la sensibilisation des publics, les actions en faveur de la culture chorégraphique. Le secteur chorégraphique s’est aussi structuré ces dernières décennies grâce au développement des compagnies chorégraphiques indépendantes, et de projets chorégraphiques portés par les scènes nationales, scènes conventionnées d’intérêt national ou festivals.»

Portrait, choreographie de Mehdi Kerkouche, Cie EMKA. Photo : Julien Benhamou

Force est de constater que la danse évolue et son public avec aujourd’hui.

Le risque de cette évolution pour la profession de critique est réel ! Car les institutions ont tendance à mettre au même niveau d’utilité, la critique dite « ancienne et savante » nourrie de références, avec les « influenceurs » qui envahissent le paysage culturel hexagonal. 


*Jean Couturier : Chirurgien ORL des hôpitaux de Paris ( Hôpital Pitie Salpêtrière) . Expert médical en médecine Aéronautique . Études théâtrales Université Paris X Nanterre et Censier Paris V . Licence , Master et DEA Arts du spectacle. Élève de Robert Abirached , Michel Corvin , Jean-Pierre Léonardini. Assistant à la mise en scène de Philippe Genty, compagnie Philippe Genty et collaborateur du théâtre de l’Unite. Photographe de danse . Critique rédacteur pour théâtre du blog un blog depuis 2008, pour bookemissaire.fr et parfois pour dansercanalhistorique.fr et unfauteuilpourlorchestre.com. Ancien vice président danse et membre du comité du syndicat professionnel de la critique théâtre musique et danse en France.

Copyright © 2024 Jean Couturier
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN:2409-7411

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