Patrice Pavis*

Pavis
Un fantôme hante l’Europe et le monde des théâtres : le fantôme du spectateur. Cette notion « nouvelle » obsède à ce point la réflexion des universitaires et l’administration des théâtres que de nombreux livres et de savantes études lui sont partout consacrés. Cette fausse bonne notion, qui paraît évidente à chacun et facile d’accès à tous, devient malheureusement vite le cauchemar du théoricien, tant l’évidence, souvent, ne débouche sur aucune véritable découverte. L’analyse des spectacles a pourtant besoin de mieux connaître l’extrémité de la chaîne théâtrale : la personne humaine à qui tout ce travail insensé était d’entrée et finalement destiné.

Cette mise au point et cette synthèse critique n’ont d’autre ambition que de fournir au ‘lecteur’ (autre terme bien vague !) quelques clés pour accéder plus rapidement à cette problématique et à quelques études récentes qui l’accompagnent.

1. Le spectateur en question

1.1. Le spectateur est un sujet

Ce sujet « spectatorial » est à constituer. On ne sait presque rien de lui, sinon qu’il ‘regarde’ un objet : une scène, une représentation, un acteur, un événement, et bien d’autres choses encore, souvent imaginaires. Le sujet classique, cartésien par exemple, c’est celui qui pense et qui se convainc ainsi de son existence. Du point de vue marxiste, le sujet est le sujet du langage, des codes culturels, des conventions sociales, des institutions ; un sujet interpellé par ce qu’Althusser nomme les appareils idéologiques d’Etat. Pour Freud, le sujet confronté aux héros tragiques de la scène, voit tout en les niant les parties libérées de son moi dans les « personnages psychopathiques de la scène » (1905). Ce sujet intensifié plus qu’unifié projette ses désirs sur ce qu’il voit et parvient ainsi à les identifier. De la même manière que l’enfant, au stade du miroir (Lacan, 1966) entre dans l’ordre symbolique en se constituant en sujet distinct de sa mère, le spectateur ne devient lui-même qu’en identifiant tous les niveaux de ce qu’il perçoit. Selon ce stade du miroir lacanien, un miroir quasi hamlétien, et selon la conception poststructuraliste, le sujet est à la fois constitué et constituant, effet et agent du spectacle sur lequel il exerce un droit de regard.

1.2. Le spectateur au cœur des sciences sociales

A peine constitué, le spectateur, qu’il le veuille ou non, est invité à profiter des conquêtes des sciences humaines, à se faire tour à tour ou simultanément sociologue, sémiologue, anthropologue, politologue, expert interculturel, etc. Toute la question est de savoir comment il accède à ces savoirs à partir des spectacles, comment il les combine ; interprète leur résultante, il entre dans le conflit des interprétations. Les perceptions et leur interprétation se succèdent en lui avec une rapidité et une labilité prodigieuses. Tout n’est que flux, suite illusoire d’images, impressions fugitives.

1.3. Le spectateur dans l’histoire

Pour le spectateur et a fortiori pour le théoricien, la seule issue pour surnager dans ce flot continu serait de procéder de manière historique, voire historicisante : en vérifiant dans quels contextes historique, culturel, socio-économique le spectacle est donné et en quoi le questionnement est en constante mutation. On devra donc faire l’histoire des théories implicites du spectateur, ne serait-ce que pour comprendre comment le sujet voit différemment à des époques distinctes des spectacles polymorphes qui eux aussi varient du tout au tout.

2. Repères historiques

Grâce aux travaux de chercheurs comme Marie-Madeleine Mervant-Roux[1] ou Florence Naugrette[2], on comprend mieux la manière dont chaque époque conçoit le rôle critique de ses spectateurs.

  • Années 1950 : Pour des philosophes comme Henri Gouhier ou des metteurs en scène comme Jean Vilar, la représentation théâtrale tient d’une cérémonie ou d’une communion capable de rapprocher les gens. Le public populaire est encore à convaincre et à gagner : « en regardant, il (le spectateur) n’agit pas en tant que tel mais en représentant du monde d’où il vient[3] », « dans le cadre d’une identification générale du théâtre à un espace politique classique[4] ».
  • Années 60 : Le spectateur ‘actif’, voire ‘réactif’, est parfois promu activiste politique. Il est invité à participer à l’action scénique (happening, intervention en scène). Le théâtre est autant cérémonie ou fête populaire que manifestation politique ou syndicale, intervention publique, invitation à changer la vie. Le spectateur s’identifie au corps tourmenté de l’acteur, un acteur davantage inspiré par Artaud que par Brecht. Le spectateur prend son sens dans l’événement spontané, unique, non répétable, indicible du jeu, tentant lui aussi d’échapper à ce que Derrida, en référence à Artaud, nommait la « clôture de la représentation ».
  • Années 70 : Elles font coexister une sociologie de la culture d’inspiration marxiste (Bourdieu, Lotman) et une sémiologie de la communication, sans toujours assurer la jonction. La sociologie de Bourdieu enquête sur les habitudes culturelles, le capital symbolique, les marques de distinction du spectateur considéré surtout comme consommateur culturel. La sémiologie le voit plutôt (mais la nuance reste souvent imperceptible) comme un décodeur, un préleveur, un descripteur, un décrypteur de signes et de réseaux, un mécanicien de la structure. Au moins le spectateur prend-il l’habitude d’interpréter globalement les signes du spectacle, d’entrer avec lui dans une « relation théâtrale », une union presque mystique. Cette interaction deviendra un sujet inépuisable de réflexions et de publications[5].
  • Années 80 : Elles marquent le sommet de l’analyse dramaturgique brechtienne et de la mise en scène ‘autonome’ (non soumise à un texte ou à une quelconque trace antérieure). Le spectateur est incité à tout percevoir, déchiffrer puis noter dans un grand « cahier scénique », comme si la mise en scène livrait alors son métatexte, voire son questionnaire[6]. L’esthétique de la réception allemande (Jauss, Iser) prend le relais de la sémiologie : elle reformule l’échange émission-réception en termes de production-réception, tandis que la théorie des échanges interculturels examine la circulation entre culture-source et culture-cible. Pour l’esthétique de la réception, le lecteur ou le spectateur entretient un dialogue avec l’œuvre : dialogue d’un sujet présent et d’un discours passé ou question posée par le sujet contemporain à l’œuvre passée pour mieux entendre le présent. Ces années ‘dramaturgiques’ sont aussi celles des recherches empiriques sur les publics et sur les réactions des spectateurs avant, pendant et après la réception proprement dite[7]. Les mass media utilisent les données objectives empiriques, mesurables des reception results. Ces résultats et ces données quantitatives ne concernent pas l’étude qualitative de la réception par les sujets. Les publics de théâtre se différencient de plus en plus, ils se spécialisent et forment des groupes qui ne communiquent pas beaucoup entre eux : fans, amateurs cultivés, professionnels du spectacle remplacent le public généraliste d’autrefois. Ce public d’antan butinait, les spectateurs spécialisés d’à présent se contentent de papillonner. L’idéologie du relativisme culturel, du « tout culturel » ou du multiculturalisme achève de semer le doute dans l’esprit du public. Les cultural studies, nouvellement instituées, ont bien du mal à cerner la personnalité et l’activité symbolique de ces groupes et de ces publics hétérogènes. Dans les expériences induites par la performance ou le théâtre de l’époque postmoderne, qui allaient plus tard recevoir le doux nom de « théâtre post-dramatique », le spectateur se sent un peu à la dérive. Son rôle change et se complexifie. L’analyse des spectacles devient problématique, la théorie entre en récession.
  • Années 90 : Le tournant historique de 1989-90 (fin du communisme européen) accentue la dépolitisation de la vie théâtrale et, par contrecoup, du spectateur. Les théories « anti-théoriques » du moment – postmoderne, postdramatique, « Against Interpretation » (Susan Sontag[8]) – insistent sur l’expérience personnelle, la sensation, la jouissance du et sur le moment, l’interactivité du spectateur qui est plus un passager (clandestin) ou un visiteur du soir qu’un analyste. L’impression d’être lui-même désorienté dans ses goûts, le sentiment de ne plus pouvoir saisir le spectacle procurent au spectateur un sentiment à la fois de désillusion et de liberté illimitée. Il n’escompte plus aucune aide des sciences humaines pour le déchiffrage des spectacles conçus pour être irréductibles, voire illisibles, mais il a volontiers recours aux leçons de la philosophie et de l’éthique pour situer l’œuvre dans un cadre esthétique plus général.
  • Années 2000 : le spectateur est de plus en plus « philosophe », au sens populaire de celui qui se fait une raison et renonce à protester. Il est de plus en plus consommateur et isolé, alors même qu’il est constamment entouré d’artistes et de commentateurs en tous genres qui font de l’œuvre un terrain d’expérimentations multimédia. Mais son activisme, son interactivité et sa créativité se contentent d’une protestation superficielle et formelle. Les sociologues ne sont plus guère écoutés, ni même consultés. Les philosophes leur opposent des concepts qui sont plutôt des mots d’ordre ou des vœux pieux : assemblée ou communauté théâtrale, « partage du sensible » (Rancière), recherche du « commun » (et non plus de l’ « espace public » ) : autant de notions mal ancrées dans l’histoire et inscrites dans un débat politique. Mervant-Roux voit là une dérive néoritualiste et elle contre-attaque en faisant du spectateur moins celui qui fait une expérience communautaire, aussi forte soit-elle, que celui qui transformera cette expérience en un souvenir agrégé à bien d’autres qui lui donneront rétrospectivement sa portée : « Le spectateur est moins celui qui regarde un spectacle que celui qui, beaucoup plus tard, y aura assisté, il est une figure faite de strates de mémoire[9] ». Cet appel à mémoire, des philosophes comme Myriam Revault d’Allonnes ou Marie-Josée Mondzain le partagent d’ailleurs avec Marie-Madeleine Mervant-Roux, ce qui donc relativise la critique de cette dernière contre la philosophie[10]. Pour elles, l’assemblée n’est ni nécessairement fusionnelle (comme le serait plus facilement une communauté) ni atomisée « parce qu’envisagée à partir du rassemblement momentané des individus séparés[11] ». Le spectateur est alors cet être incertain, déchiré entre communauté étouffante et solitude dévorante, il se réduit à une « foule solitaire » (Daniel Riesman).

Ce survol des positions changeantes du spectateur mériterait une véritable histoire du spectateur et des publics. Cette tâche dépasse le cadre de l’analyse des spectacles, elle nous obligerait à évaluer les possibilités et l’intérêt d’une théorie du spectacle en rapport avec la production et les attentes d’une époque[12]. Il est utile auparavant de revenir sur l’herméneutique du spectateur, en la comparant à celle du lecteur.

3. Lecture d’un texte, réception d’un spectacle

Depuis que le Plaisir du texte a été si magistralement célébré par Roland Barthes[13], la théorie de la lecture est presque devenue une discipline à part entière et l’on en sait beaucoup plus sur les habitudes et les stratégies du lecteur. Nathalie Piégay-Gros[14] a rassemblé des textes fondamentaux sur le lecteur et a elle-même proposé une remarquable étude introductive au lecteur. Son étude nous servira de base pour comparer lecture et… ? Le mot manque pour dire la réception d’un spectacle : ‘spectaclecture’ serait un néologisme peu élégant quoique propre à suggérer la différence entre lire et voir, entre ‘é-lire’ et ‘in-specter’[15].

  1. De même qu’il y a de nombreux types de lecteurs, les types de spectateurs sont innombrables : il n’y a pas de lecteur idéal ou universel ou modèle ! La lecture du dramaturge (le conseiller du metteur en scène et non l’auteur) est la plus complète, puisqu’elle part du texte, mais dans la perspective d’une mise en scène[16]. Elle n’est toutefois pas la seule possible : on doit toujours se demander : quel lecteur lira cette pièce ou ce texte ? Comment réagira le spectateur? Quelles sont ses habitudes de réception : culturelles, politiques, psychologiques, etc. ? Est-on aussi attentif comme spectateur que comme lecteur ? Le lecteur peut faire des pauses, avec toutefois le risque de ‘hacher’ la lecture, d’en perdre le fil. Au théâtre, on n’a pas droit à d’autres pauses que celles ménagées par la mise en scène ou par les entractes et les brefs moments de répit entre les actes, les tableaux, les scènes.
  2. Les mises en scène, pas plus que les textes, ne sauraient prévoir et programmer leur interprétation. On voit ou on lit toujours autre chose que ce qu’ils avaient prévu pour nous. Aucune clé d’interprétation n’est livrée avec l’œuvre. Tout n’est pas prévisible, ni ‘prélisible’. On lit, on regarde toujours ‘à côté’.
  3. Le spectateur, comme le lecteur, est confronté à une œuvre plus ou moins ouverte et indéterminée, avec des ‘lieux d’indétermination’, des blancs, des trous, des lieux du texte où l’interprétation peut hésiter. Ces lieux ne sont pas exactement les mêmes pour chacun[17]. La scène et ses composantes multiplient la possibilité de ces lieux, mais elles sont aussi en mesure de combler ces vides, que ce soit par un détail du décor, du costume, de l’éclairage. Le spectateur a donc besoin d’une large connaissance des codes de divers ordres. Le lecteur de textes difficiles, cryptés ou ésotériques a lui aussi besoin de savoirs ou de talents variés, dont la maîtrise est plus intellectuelle que celle des différents langages artistiques des spectacles.
  4. Piégay-Gros parle de l’ « art du lecteur », Brecht de l’ « art du spectateur ». Cette métaphore insiste sur la part de fantaisie et de créativité qu’exige l’œuvre d’art (notamment l’œuvre ouverte) pour sa réception autant que pour sa création. L’exigence artistique implique une interprétation, toujours risquée, et non une simple technique applicable sans grande imagination. La multiplication potentiellement infinie des matériaux et des systèmes scéniques augmente les hypothèses d’interprétation et les combinatoires des systèmes de signes.
  5. Comme le lecteur face au texte, le spectateur s’efforce de comprendre comment le spectacle a été conçu, puis réalisé, selon quelle « intention de l’œuvre » (et non intention de l’auteur, pour reprendre la distinction de Eco). Il reconstitue le système de la mise en scène, que ce système soit clairement explicite et lisible, ou bien introuvable, caché, voire contradictoire ou aléatoire. Il s’efforce également, au-delà des résultats et des choses observables, d’imaginer le processus de travail, la méthode de préparation et la stratégie de mise en place. On imagine aisément la complexité de ces opérations, puis de leur interprétation par le spectateur.
  6. Dans les années 60 et 70, les théoriciens du structuralisme et du poststructuralisme ont proclamé la « mort de l’auteur » (Barthes) et accéléré la promotion du lecteur (qui doit tout réinventer, ou presque). Pour les gens de théâtre, la mort de l’auteur remonte à la fin du dix-neuvième siècle, puisque le metteur en scène s’est imposé pour devenir le nouvel auteur scénique, en s’adjoignant, voire en se substituant à lui, afin de proposer sa propre interprétation textuelle et scénique. Le spectateur peut à son tour défier la posture d’auteur adoptée par le metteur en scène, pour choisir son propre chemin à travers l’œuvre scénique. Le metteur en scène le sait bien, conscient que sa seule chance de survie est d’effacer ses traces d’effraction dans l’œuvre, d’ouvrir celle-ci à des lectures plurielles, voire de rendre la mise en scène intentionnellement illisible, seulement déchiffrable, ou plutôt consommable, individuellement.
  7. Le texte écrit, remarque Piégay-Gros, ne dit pas tout : le lecteur doit imaginer, établir, oser des liaisons entre des parties du texte (ou du spectacle). Ceci vaut pour la fable, le récit, comme pour l’organisation des parties du texte ou de la représentation. « Le rôle du lecteur consiste donc à établir telle ou telle liaison, à combiner tels ou tels segments du texte — et à laisser d’autres dans l’ombre » (p.16). Il en va de même pour le spectateur, lequel effectue mentalement ce travail dramaturgique de recoupement, reconstituant ce que furent les choix du metteur en scène, mais risquant aussi son propre parcours dramaturgique à l’intérieur du spectacle. La liberté du lecteur ou du spectateur est limitée par la contrainte des signes imposant un certain parcours. Cette marge de manœuvre n’est ni prévisible ni déterminable à l’avance et avec précision. Lire, c’est lier. Voir, c’est avoir en vue.
  8. Lire le texte ou voir le spectacle, ce n’est pas seulement en reconstituer la fable, s’adonner aux joies du storytelling, c’est aussi s’intéresser à ce que texte ou spectacle ont à nous dire et à voir avec notre monde, quelle textualité et quelle texture ils ont choisies pour le faire.
  9. Selon Piégay-Gros, le lecteur est pris entre coïncidence avec soi-même et expérience de l’altérité. Le spectateur retrouve lui aussi des situations, des gestes familiers qui confirment ce qu’il entrevoyait. Il découvre parfois aussi des choses inconnues ou qu’il ne soupçonnait pas en lui.
  10. Le lecteur a besoin de s’isoler pour lire, le spectateur a lui aussi besoin de concentration, mais il doit sentir autour de lui la présence d’un public, qui n’est pas toujours une communauté réelle, mais au moins imaginaire et rassurante. Le lecteur, nous dit Piégay-Gros, peut s’arrêter de lire, lever la tête. Le spectateur est au contraire entraîné dans une temporalité, une suite d’actions dont il ne maîtrise pas le cours. Le spectacle théâtral n’est malgré tout jamais solidifié comme l’enregistrement d’un film et le spectateur profitera des moindres espaces ménagés par la respiration du spectacle pour souffler et penser.
  11. Qu’est-ce que « bien lire » ? C’est une « affaire autant de sagesse que de savoir, de travail sur soi que de travail sur la littérature » (p.46)? Qu’est-ce que bien regarder/écouter/sentir, etc. ? C’est, en plus de ce double travail, être sans cesse présent, prêter son corps et ses affects aux personnages et aux situations, se situer à la fois en dedans et au dehors.
  12. Les troubles de la lecture sont encore plus fréquents que les troubles du sommeil. Habitué dès le berceau à surfer sur le Net, le cybernaute n’a plus ni le temps ni l’envie ni la faculté de ralentir pour se concentrer en un « deep reading » (lecture approfondie) d’une œuvre littéraire ou philosophique. Quant au spectateur, il n’est en mesure de pratiquer une sorte de « deep watching » (observation approfondie) que si le rythme du spectacle n’est pas trop rapide et si les éléments extratextuels de la
    représentation se laissent facilement distinguer. Il lui faut percevoir ce que Jan Lauwers nomme ‘image limite’ : « une image qui reçoit le temps d’imprégner le cerveau de l’observateur par le fait qu’ (on) allonge le temps normal de perception[18] ».

Ce parallèle entre lecteur et spectateur, pour schématique qu’il soit, nous aide à ramener la problématique du spectateur dans le giron de l’herméneutique, science, ou plutôt art, de l’interprétation. Ce qui nous autorise à tirer quelques conclusions générales.

Tout spectateur est un herméneute. Sa tâche dépend en grande partie du type de spectacle auquel il est confronté. Cette tâche est si variable qu’il est vain d’établir des lois générales. Non seulement, il ne pourra repérer tous les lieux d’indétermination, ni même ceux des autres spectateurs, mais il en ajoutera nécessairement de nouveaux. La lisibilité dépend non seulement de sa perspicacité, mais de la mise en scène, de son écriture, comme on dirait pour le texte, l’écriture. Comme le lecteur, le spectateur suit un parcours interprétatif, qu’il reconstitue en partie à travers la stratégie que la mise en scène lui paraît avoir adoptée. Ce parcours, à la différence du saut d’obstacles pour les chevaux, n’est pas fléché, c’est au spectateur de repérer les haies, et aussi d’en ajouter d’autres, afin de donner un tour personnel à son interprétation.

Sans la validation par le spectateur du parcours possible de l’œuvre, le théâtre n’existe pas, car il doit absolument atteindre son public, toucher le spectateur d’une manière ou d’une autre.

4. La multiplication des objets et le regard du spectateur

Tout comme la lecture dépend en grande partie de l’objet lu et n’obéit donc à aucune méthode universelle, la vision-observation du spectacle dépend aussi de l’objet analysé, et pas uniquement des caprices du spectateur. Or cet objet prend les formes les plus diverses, s’étendant même à toutes les cultural performances imaginables. On ne mentionnera que quelques exemples typiques.

  1. La danse : au-delà des signes, la danse existe dans l’expérience du mouvement qu’en fait le spectateur. Par une identification au mouvement (kinesthetic empathy), le spectateur absorbe et « éprouve » la danse. Cette identification au mouvement ne se limite bien sûr pas à la chorégraphie, elle vaut pour tous les arts du corps.
  2. Le parcours : le public n’est pas, ou pas constamment assis, il passe d’un lieu à l’autre, selon un ordre décidé par la mise en scène, ou bien d’une scène à l’autre. Cette mobilité est souvent confondue avec l’interactivité et l’engagement du spectateur, ce qui suppose implicitement et erronément que le spectateur assis serait passif. Les déplacements du public ne signifient pas davantage la fin du « théâtre assis », assimilé ipso facto à une expérience communautaire, comme certains critiques semblent le penser.
  3. Le théâtre de rue (Gonon, 2011). Voir le compte rendu ci-dessous.
  4. L’event, au sens de Merce Cunningham: « Présenté sans entracte, un event consiste en un assemblage d’extraits du répertoire, ancien ou récent, auxquels viennent souvent se combiner des séquences spécialement conçues pour créer un lieu et une représentation qui ne se donnera qu’une fois. Il s’agit de créer davantage une expérience de danse qu’une soirée de danse[19] ». Le spectateur doit s’adapter à cette demande, ne pas exiger de résultats définitifs, être attentif au processus de travail. L’idéal serait qu’il puisse tester ces hypothèses lui-même en entrant dans la danse à un moment donné de l’event. La notion d’événement théâtral est devenue récemment l’outil d’une nouvelle réflexion sur l’intégration de la production et de la réception d’un spectacle.
  5. La performance : la performance (ou le Live Art, terme utilisé plutôt en Grande Bretagne) procure à ses spectateurs des émotions fortes, une expérience unique, plaisante ou traumatisante, à laquelle ils sont invités à participer. Le Live Art, selon Reason, se spécialise dans la présentation du vivant et du direct (‘live’) : « Avec le live, emballé et présenté comme ce qui est désirable, sa signification devient la facilité à vendre des expériences aux publics –ou faut-il dire aux consommateurs ? — dans ce qu’on a pu nommer une ‘économie de l’expérience’ » [20].
  6. Les médias : ils influent sur l’activité cognitive et émotionnelle du spectateur, sa faculté d’absorption et de résilience est constamment mise à l’épreuve. La dramaturgie des émissions à la télévision, les jeux vidéo, les téléfilms modifient et dispersent l’attention du spectateur. Les médias, leur constante transformation, obligent le spectateur à se demander où il se situe dans cette perpétuelle transformation, cette « remédiation ».

5. Le spectateur et la vision du spectacle

5.1. La figure déplacée du spectateur

Le spectateur d’aujourd’hui est « une figure déplacée » : « Au spectateur comme figure déplacée du lecteur s’ajoute le spectateur comme figure déplacée du téléspectateur, du cinéphile, de l’internaute, du lecteur hypertextuel, du cinéphile, ou encore du joueur de jeux vidéo[21] ». Ce n’est pas tant le spectateur qui est déplacé que son regard qui est manipulé par l’ensemble de ces médias.

5.2. La mise en scène de la vision

Ce déplacement n’est pas d’ordre technique ou physiologique, mais symbolique : il est lié à la manière de « regarder le regard », de le mettre en scène. Les études du spectateur ont besoin d’être relayées par les visual studies. Maaike Bleeker définit par exemple le théâtre et sa représentation comme « a practice of staging vision (une pratique de mettre en scène la vision)[22] ». Il s’agit pour le théâtre (pour tous les collaborateurs du spectacle) de mettre en scène l’acte de regarder, la façon dont le spectateur découvre le spectacle. Sa vision, sa visuality ont été organisées par la mise en scène. Le rôle du spectateur est donc étroitement lié à la mise en scène en tant que système esthétique et stratégique, tel que le spectateur les reconnaît. A lui de comprendre, plus ou moins consciemment, comment le metteur en scène a manipulé et mis en scène ce regard spectatorial. Nous sommes passés de la mise en scène comme vision individuelle d’un metteur en scène au processus de mise en scène comme manière de voir. Beaucoup d’œuvres ou de spectacles postmodernes ou postdramatiques thématisent l’acte de voir, le ‘spectating’. Ils comptent sur la prise de conscience du regard du spectateur pour élucider la fabrique et la réception de la mise en scène. Le spectateur fait plus que participer à la construction du sens, il constitue l’œuvre elle-même en thématisant son fonctionnement et son sens : « Les spectateurs et les publics ne sont pas des récepteurs passifs d’une expérience ni par le fait d’être manipulés involontairement par une représentation ni par le fait de recevoir une signification prescrite ou un affect. Au lieu d’être la dupe du média ou de son message, les spectateurs (individuellement et collectivement) interprètent et évaluent ce qu’ils voient et ce dont ils font l’expérience. Ce faisant, ils construisent activement ce que la représentation (et ce que le fait de participer à un événement) signifie pour eux culturellement et socialement[23] ». Cette mise au point de M. Reason indique bien que l’activité cognitive, mais aussi culturelle et sociale, est un moyen pour chaque individu de se construire et de se reconstruire.

Le spectateur herméneute construit tout à la fois le sens, l’œuvre et lui-même en tant que sujet percevant. Il ne s’agit toutefois pas de partager une vision avec les autres spectateurs, car « voir ensemble » ne signifie pas voir la même chose : « Voir ensemble ce n’est pas partager une vision car jamais personne ne verra ce que l’autre voit[24] ». Cette formule que Mondzain dérive de celle de Jean Desanti ( « Nous ne voit rien » ) ne nie pas la possibilité de voir mais ruine la prétention d’interpréter le texte ou l’image de manière à mettre tout le monde d’accord. (Sur cette formule, voir plus bas la discussion du livre sur L’Assemblée théâtrale, 2002).

L’essentiel réside dans le dialogue des regards, notamment ceux des artistes et des spectateurs, dans la dialectique entre spectacle et spectateur. Ce dialogue implicite est aussi celui entre la volonté de séduire le public et celle de lui donner sans rien attendre en retour: « L’œuvre se construit dans la dialectique avec le public, et c’est la synthèse qui est révélatrice. La pièce prend forme dans la tension entre l’œuvre et le public. Si l’œuvre ne se soucie pas du public, elle devient hermétique et si l’œuvre est totalement tournée vers le public, alors il se produit quelque chose qui est de l’ordre de la démagogie[25] ».

Nous, spectateurs, n’en avons pas fini avec nous-mêmes : nous courons encore après notre ombre. Mais ne serait-ce pas mieux que ce soit notre ombre qui nous coure après ? Pouvons-nous encore nous identifier ?

6. Les nouvelles identités du spectateur

6.1. Promotion récente du spectateur

Nous pouvons de moins en moins parler du spectateur en général, même à l’intérieur d’une aire culturelle spécifique. Mais, dans le même temps, bien des spectacles et bien des études découvrent le spectateur comme remède miracle, comme dernière instance capable d’aborder les spectacles contemporains. Le spectateur en effet n’est plus le récepteur d’un message nouveau et radical, auquel, après la surprise, il pourrait encore faire face et réagir. D’où sa promotion au rang de créateur, par exemple dans la performance (Performance Art, ou Live Art) : « Le Live Art (qui) a la possibilité d’inclure le spectateur dans un événement et une situation au lieu de les laisser contempler un cosmos fictif différent[26] ». Les spectateurs postdramatiques ainsi inclus dans l’événement hésitent et alternent entre réel et fiction, ils se situent dans des cadres à chaque fois différents. Le spectateur postmoderne ou postdramatique est vu comme un consommateur de haut niveau, en perpétuelle recherche de sensations et de médicaments intellectuels de confort. Plaisir éphémère mais intense, consommation rapide mais superficielle, jouissance garantie, mais effet d’accoutumance probable.

6.2. L’expérience, mais non l’expérimentation

Le terme français d’expérience (Experience en anglais, Erfahrung en allemand) devient le mot clé du spectateur contemporain : non pas l’expérience professionnelle, le fruit d’années de travail, ni l’expérimentation en laboratoire où l’on invente de nouvelles formules, mais l’expérience, la jouissance individuelle. Ce terme d’expérience traduit et trahit le transfert de la production du sens depuis la mise en scène vers la seule réception, la subjectivité individuelle. Ce vocable ne préjuge pas en soi de la manière, positive ou négative selon le point de vue, de « faire une expérience ». Pour un auteur d’avant-garde comme Joël Pommerat, l’expérience est ce que le spectateur doit éprouver au théâtre : « Nous pouvons traverser, vivre, ressentir, éprouver certaines extrémités de l’existence. C’est une expérience mais c’est aussi un jeu[27] ». Selon un critique d’art contemporain comme Yves Michaud, l’expérience se substitue à la production de l’œuvre, elle en remplace la réalité solide par une expérience comparable à un art à l’état gazeux. L’art contemporain — et on pourrait ajouter : le théâtre postmoderne ou postdramatique — privilégie non plus l’œuvre concrète, mais le côté événementiel, informe de l’expérience, laquelle n’a plus besoin de forme solide et stable, préférant l’état gazeux, beaucoup plus insaisissable.

Appliqué au théâtre, cela voudrait dire que la mise en scène consiste désormais à « vendre » une expérience sensible, voire sensuelle, comme on vendrait une croisière sur la Meuse ou une visite à Disneyland. Le spectateur n’est plus un juge brechtien ou une victime artaudienne de la cruauté du théâtre, mais un jouisseur, un amateur de sensations fortes, d’expériences inédites. D’où la thèse de Michaud, facilement transposable au théâtre : l’expérience esthétique tend à remplacer l’œuvre d’art. Jusqu’aux années 1950-1960, la culture et l’art pouvaient faire l’objet d’une appropriation culturelle par le spectateur ou le visiteur de musée, d’une accumulation de capital symbolique (Bourdieu). Depuis les années 80, tout se vaut, tout est culturel, mais plus au sens normatif ; depuis les années 90, seule compte l’expérience esthétique. Le spectateur est sommé de tout apprécier comme une expérience personnelle, de ne juger de rien sur le plan esthétique, ou théorique : « Il n’est pas indispensable que le dispositif soit aisément identifiable comme ‘de l’art’ : ce qui est de l’art, c’est l’effet produit[28] ».

Certes, la notion d’expérience peut se décliner différemment et avec infiniment plus de nuances. Lehmann distingue par exemple « ästhetische Erfahrung » et « ethische-politische Erfahrung[29] » (expérience esthétique et expérience éthico-politique). Souvent, cependant, la notion d’expérience esthétique est aujourd’hui un moyen de dire qu’on ne peut plus analyser objectivement, ni même commenter, l’œuvre postmoderne ou postdramatique et qu’il suffit donc de se placer au lieu d’arrivée de sensations éprouvées par le spectateur individuel, donc difficilement analysables.

6.3. Le spectateur, nouveau souverain et nouvel arbitre ?

On parle beaucoup du spectateur, beaucoup trop estime Marie-Madeleine Mervant-Roux, qui lui a pourtant elle-même consacré de nombreuses et brillantes années de sa recherche ! On a tendance à tout faire reposer désormais sur les épaules du spectateur, à tout ramener à ses impressions, ses attitudes, ses catégories (au risque d’ « étiqueter l’impalpable » [30]), à tout expliquer par l’atmosphère, l’impression, le ‘feeling’. En art contemporain, ce sont les attitudes « qui deviennent formes », « qui font art et bientôt seulement esthétique, ce sont les attitudes qui font expérience sensible[31] ».

On en est revenu à un impressionnisme critique, dont la théorie postdramatique est le plus beau fleuron, à une explication par l’atmosphère : « Communiquer, élever, édifier, équilibrer, faire comprendre, troubler : ces composantes classiques de l’expérience esthétique n’ont ici plus beaucoup d’importance[32] ». Ce qui vaut pour l’art contemporain vaut aussi pour la mise en scène.

Par une sorte de « présentisme » (une fixation sur le seul présent à l’exclusion du passé ou de l’avenir), le spectateur fait l’expérience d’un oubli immédiat de ses sensations et impressions : impossible de se souvenir du spectacle, sinon comme quelque chose d’agréable ou de fort sur le moment. Nathalie Heinisch note la différence entre « le théâtre de la sensation et du jeu sur l’espace et le temps, contre le théâtre de la parole et du jeu sur la signification : physique contre métaphysique » [33].

Il est plaisant de constater que ce sont souvent les anciens sémiologues[34] des années 1970 qui prônent à présent l’ouverture maximum chez le spectateur, comme s’ils étaient soudain touchés par le « Plaisir du texte[35] » (Barthes), la grâce postmoderne et post-dramatique, la subtilité de la déconstruction et l’efficacité de la performativité.

Faut-il faire une typologie de l’ « impalpable » (Michaud), du sujet spectateur éclaté, ce partenaire et ce double de l’acteur[36] ? « Le public ne représente plus seulement cette sorte de témoin extérieur, mais un partenaire, partie prenante du théâtre, qui décide du succès de la communication[37] ».

6.4. Le spectateur et ses doubles

Le spectateur devenu partie prenante de la création théâtrale, et donc créateur de plein droit du spectacle, est-il encore un spectateur ? Ne doit-il pas changer de nom et d’identité ? La liste des noms et des identités est déjà longue : chaque artiste, chaque théoricien y va de sa dénomination et de sa métaphore, censée qualifier l’activité de l’homo spectator[38]. Les anthropologues, charmés par nos spectacles, parlent d’observateur, de participant, d’observateur participant, officialisant la place subjective de l’ethnologue. Les metteurs en scène ironiquement « scientifiques » (comme Jean-François Peyret) proposent ce terme aux vrais hommes de science venus témoigner dans ses spectacles. Les « enquêteurs » et les « experts » apportent leur témoignage dans certains spectacles de Stefan Kaegi et de son groupe Rimini Protokoll. Tandis que les spectateurs sont assimilés par un dramaturge comme François Regnault à des visiteurs. Le terme de flâneur, introduit dans les années 1930 par Walter Benjamin, ne conviendrait-il pas tout autant à ces illuminés qui fréquentent les théâtres ? « Le lecteur, le penseur, l’homme qui attend, le flâneur sont des types d’illuminé tout autant que le fumeur d’opium, le rêveur, l’homme pris d’ivresse ». (Œuvres, II, 2000, p.131) Nous ne sommes pas loin du grand prêtre, du shaman, qualificatifs appliqués aux artistes et, par extension, aux spectateurs qui se risquent à les suivre. La chaîne des métaphores récentes pour désigner le spectateur est infinie : « spectacteur » autrefois chez Boal ; « précipité lors d’une réaction chimique » chez Herbert Blau[39] ; « amateur de l’art subtil du rendez-vous » chez Ethis[40] ; « spetracteur » chez Sibony[41] ; « voyageur en traversée » pour Wajdi Mouawad et le festival d’Avignon ; spectatrice émancipée, « partant à la découverte de nouvelles contrées artistiques » selon Florence March[42]. Autant de dénominations qui sont une déclinaison de la métaphore indéracinable de la « relation théâtrale », dont il est difficile mais peut-être nécessaire de s’éloigner.

6.5. Le témoin

Mais nul terme n’est actuellement aussi populaire que celui de témoin. Ce n’est plus le témoin d’un accident de la route, qui dans la célèbre parabole de Brecht, expliquait les causes et les circonstances de l’accident comme devrait le faire un sociologue critique soucieux de changer le monde. Ce témoin, c’est plutôt l’ethnographe chargé de décrire le fonctionnement d’une société « primitive », « arriérée » comme dit Sartre : « Il faut que le spectateur soit dans la situation de l’ethnographe qui s’installe parmi les paysans d’une société arriérée. (…) C’est lui-même qu’il étudie[43] ». Dans les dix premières années du millénaire, le témoin, notamment au sens du witness des anglophones, est en général impliqué dans l’événement, quasiment forcé d’intervenir lorsque le performer met sa vie en danger (ainsi Gomez-Pena) ou menace une autre personne. Il s’agit de tester sa passivité. Spectateur, un mot obscène disait Boal. Beaucoup d’artistes font appel aux spectateurs comme témoins. C’est même devenu un genre nouveau, à l’image du groupe anglais Forced Entertainment : « L’œuvre d’art qui fait de nous des témoins, nous laisse avant tout incapables de cesser de penser et de rapporter ce que nous avons vu[44] ».

Le témoignage et le devoir de mémoire sont devenus des sujets de réflexion des historiens au cours des dernières années, comme on a pu récemment le constater lors de la polémique autour du roman de Yannick Haenel, Jan Karski[45]. Haenel affirmait que le témoin est celui qui prend la parole : « Est-ce la souffrance qui fait le témoin ? Plutôt la parole, l’usage de la parole[46] ».

Le débat entre les termes de ‘public’ ou ‘de spectateur’ se retrouve dans la distinction entre mémoire et souvenir : « La mémoire est collective. Les souvenirs sont individuels[47] ».

Bien d’autres termes sont en usage pour désigner le spectateur contemporain. L’important n’est pas le mot utilisé, mais ce que son usage implique. Ainsi celui de watcher (observateur, mais aussi guetteur) employé par Rachel Fensham[48] (2009) lui permet de réexaminer la fonction spectatrice, de prolonger l’analyse classique des spectacles par l’observation, l’attention, la différence du regard, notamment selon les sexes, car il y a, selon elle, « une dimension de l’observation liée à l’identité sexuelle » [49], même si elle omet de nous préciser les critères de la manière d’ « observer le théâtre en tant que femme[50] ».

6.6. La place du spectateur dans l’espace public

Longtemps, on a limité la situation du spectateur à sa place physique dans l’espace : généralement assis face au plateau, en retrait par rapport à la scène. Cette position servait souvent à définir la relation théâtrale « comme fondée sur la coprésence de spectateurs et de performers qui échangent des énergies dans une boucle en circuit rétroactif[51] ». Chris Balme s’étonne, à juste titre, que « la recherche actuelle sur le théâtre postdramatique, même parmi ses fondateurs et ses avocats, continue à opérer avec une conception des spectateurs et des publics dans une relation de face à face avec les acteurs[52] ».

On ne saurait toutefois comprendre ces changements des limites du public et du rôle du spectateur, sans recourir à la notion d’espace public (Offentlichkeit) de Jürgen Habermas. L’espace public est un espace politique commun. C’est aussi un lieu public, « un lieu où on dévoile, où on déballe, devant tous, les secrets des puissants. Donc c’est un lieu de dévoilement, où des gens qui sont à l’intérieur trahissent en quelque sorte les leurs et amènent l’information… (…) Or, aujourd’hui, nous entrons dans une phase de quasi disparition de l’espace public, non parce que des formes autoritaires de mise au secret, de mise sous scellés, l’emporteraient, mais parce que la frontière entre l’intérieur des institutions et leur extérieur tend à s’effacer, de sorte que l’opération de dévoilement elle-même perd de son mordant ou devient impossible[53] ». Cette thèse de Boltanski, on pourrait la vérifier dans le domaine du public et du spectateur de théâtre. Le spectateur tend à ne plus « adhérer » à la scène, dans un regard frontal et en perspective ; il tend à s’éloigner de la scène réelle du crime, pour se réfugier dans la scène abstraite du monde. Les médias distribuent[54] l’espace et le temps différemment : ils permettent au spectateur de percevoir l’événement à distance, en live, mais de très loin. Ce qui entraîne également l’incertitude sur son lieu réel : dans l’institution spatiale, temporelle, idéologique, ou bien à distance, sans réel investissement, isolé, incertain quant à sa place (craignant de perdre sa place, délocalisé et amovible) ? Une incertitude qui est aussi celle sur son avenir, sa situation temporelle du moment : est-il en live, en différé, en prise avec le présent ou bien neutralisé dans un no man’s land qui est aussi un no man’s time ? Ainsi le spectateur postmoderne fait-il l’expérience de la délocalisation, à la fois spatiale et temporelle, autant dire aussi culturelle et existentielle. Ni dehors ni dedans, ni avant ni après, la place du spectateur est décidément devenue inconfortable. Plus désorienté et délocalisé que jamais, en déphasage perpétuel par rapport au monde et à l’art, gageons que le spectateur n’a pourtant pas encore dit son dernier mot.

REPERES BIBLIOGRAPHIQUES

2002. Gildas Milin (et al.). L’assemblée théâtrale. Les Editions de l’Amandier.

Cet ouvrage collectif convient bien à une première sensibilisation à la problématique du spectateur. Le lecteur y est invité à écouter des philosophes et des metteurs en scène converser à bâtons rompus au cours de quatre séances consacrées à la notion d’assemblée théâtrale.

L’auteur dramatique Enzo Corman considère comme une des particularités de l’assemblée théâtrale « d’être constituée simultanément des spectateurs et des acteurs » (p.16). Pour le metteur en scène Alain Françon, les répétitions sont un autre exemple d’assemblée, puisque chacun tente d’y « maintenir un horizon de sens, une possibilité de sens et la possibilité de sa circulation. » (p.28). Cette possibilité est liée à la notion de « bien commun » et de « vivre ensemble », donc à « la démocratie. » (p.28). Une philosophe comme Myriam Revault d’Allonnes se demande en revanche s’il « existe encore quelque chose comme un ‘bien commun’ » (p.22), suggérant que ce serait alors « la matrice à partir de laquelle il faudrait défendre l’espace public » (p.22). Pour une autre philosophe, Marie-Josée Mondzain, sur la scène théâtrale se joue, par analogie avec l’incarnation chrétienne, la question « de la présence et de l’absence du corps et de l’image, c’est-à-dire une gestion immédiate, par le corps de l’acteur, d’un espace partagé avec le public, donc une république, une chose publique » (p.39). Pareille comparaison est inacceptable pour des théoriciens comme Guy Walter qui refusent « cette idée de la ‘communauté théâtrale’ », de la ‘communion théâtre’, et cette espèce de transfiguration qu’on demanderait au spectateur »(p.44). Walter réclame ainsi que « la politique artistique soit réarticulée en termes politiques » (p.44). Mondzain ne lui répond pas directement, mais elle prend la « défense de l’affect dans la transmission du sens à partir du moment où on est sur la scène des pulsions, du désir et du partage politique. » (p.67).

Quel regard le spectateur pose-t-il sur le spectacle ? Le point de départ commun des interlocuteurs est la formule de Jean Toussaint Desanti : « ‘Nous ne voit rien’. Mais du coup, qu’est-ce que nous voyons précisément ? Non pas quelque chose que chacun voit et sur quoi tout le monde tombe d’accord. On tombe d’accord, sur le hors champ de ce que chacun voit. » (pp.71-72) Traduit par le metteur en scène Michel Didym en termes de participation au spectacle en préparation, cela signifie que le metteur en scène, les acteurs, les collaborateurs, mais aussi les spectateurs constituent une nécessaire multitude de ‘je’, et non « pas une sorte de ‘nous’, globalisant, consensuel. » (p.75). La question du spectateur se complète dans celle de la mise en scène, plus ou moins « autor-isée » par un artiste, donc un « auteur » du spectacle, le metteur en scène, celui qui a un regard sur le spectacle, un regard « attaché à une certaine idée de la création, de la souveraineté, de la souveraineté de l’artiste » (Revault d’Allonnes, p.78).

Prolongeant Desanti, Mondzain complète sa formule : « le nous ne voit rien mais c’est l’entre-nous qui voit. » (p.85). Mais qu’y a-t-il entre nous ? Les participants au dialogue se réfèrent, sans le nommer, à Derrida et à sa notion de dissémination. Le spectateur contemporain, postmoderne ou postdramatique, passe pour être très dispersé dans ses perceptions. Mais, nous avertit Revault d’Allonnes, « ces pensées de la dissémination ont été des pensées ruineuses pour la question du sens de la communauté ; on est passé d’une position globalisante, unificatrice, à son symétrique inversé, autrement dit à une pensée de la dispersion, de l’éparpillement, qui nous interdit elle aussi d’appréhender et de situer les problèmes. Et c’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, nous avons tant de mal à penser la question du commun. Nous sommes enfermés dans une alternative ruineuse : celle du ‘nous fusionnel’ ou de la dispersion et de la dissémination. » (pp.87-88). Entre Copeau et Derrida, pourrait-on dire.

La discussion continue à se resserrer sur le spectateur, surtout lors de la dernière rencontre, lorsque l’échange sur la modernité conduit à s’interroger sur la légitimation du théâtre dans l’immédiateté de sa réception. C’est ce que Guy Walter désigne comme « l’espace actif de la réception : le fait que le public construit l’événement de la représentation. » (p.112). Comment dès lors penser cette assemblée dont chacun ici et ailleurs, se réclame ? Généreusement, l’auteur Corman affirme « que la question est plus de constituer l’assemblée (autour d’un objet), que de produire un objet (susceptible de provoquer l’assemblée). » (p.118). Le metteur en scène Fisbach ne semble pas se résoudre à ce que « le nous » — ses collaborateurs et ses spectateurs — « ne voit pas ». Il préfère supposer une « histoire de juxtaposition, c’est-à-dire qu’à la fois le « nous ne voit pas », « l’entre-nous voit » et « le nous finit par voir. » (p.119). Cette suite de temps juxtaposés nous invite à réintroduire la dimension temporelle, à « considérer l’assemblée théâtrale comme un mode d’être historique ou temporel, pas seulement comme une réunion dans l’espace », constate Revault d’Allonnes (p.120). Ce qui pousse Claude Régy, le Doyen et le Prince de nos metteurs en scène, à reconsidérer les limites du spectacle et donc de l’intervention du spectateur, à « sortir de l’idée que le spectacle c’est ce qu’on voit pendant un temps donné » (p.121). Reste à savoir si cette extension de l’espace du public et de l‘espace public va jusqu’à l’espace de la communauté où s’insère la représentation, voire, comme le suppose Fisbach, jusqu’à l’espèce humaine (p.123). Cette discussion sur la dimension et l’identité de la communauté est à poursuivre, d’autant plus que, comme le concède Mondzain, le théâtre ne cesse de se demander « comment produire de la communauté, cette communauté étant toujours une fiction » (p.129). Ces vifs et brillants échanges intellectuels ne donnent pas de solution simple, mais ils aident le lecteur à prendre conscience du caractère volatile du spectateur et des enjeux pour comprendre l’évolution future du théâtre.

2002. Florence Naugrette. Le plaisir du spectateur de théâtre. Rosny-sous-Bois, Editions Bréal.

Ce livre est une introduction générale au théâtre, toujours lisible, malgré la complexité du sujet. Il contient beaucoup de remarques utiles et fines sur le rôle du spectateur, prouvant ainsi que la question du spectateur est présente à toutes les étapes de la création théâtrale et de la production d’une mise en scène. Dans le chapitre 3, « Théories du plaisir théâtral », les notions de catharsis, d’identification ou de distanciation sont expliquées et replacées dans le cadre de l’histoire du théâtre. Une première et salutaire introduction à la problématique dans l’ensemble des études théâtrales.

2006. Marie-Madeleine Mervant-Roux. Figurations du spectateur. Une réflexion par l’image sur le théâtre et sur sa théorie. Paris, L’Harmattan.

Ce livre constitue une suite, et parfois un correctif, à L’assise du théâtre. Pour une étude du spectateur (CNRS Editions, 1998). Ces deux livres sont une très bonne introduction critique à la problématique du spectateur. Mervant-Roux fait un historique de la question depuis les années 1950. Elle met en doute la soi-disant passivité du spectateur assis autant que l’activité présumée du public invité à déambuler dans l’espace du spectacle. Elle met aussi en doute le dogme selon lequel « la nature du rapport entre le public et le théâtre serait fondamentalement relationnelle et réalisée pour l’essentiel dans l’immédiateté de la rencontre » (p.11). Elle explique ce changement dans la conception du spectateur par la fin du modèle théâtrologique du dialogue, assez rapidement abandonné dans sa version sémiologique » (p.11), mais resurgissant dans « un privilège octroyé à l’événement, à l’immédiateté, au corps expressif… » (p.11). Curieusement, elle attribue toutefois ce surgissement au « règne de la mise en scène », alors qu’il s’explique de toute évidence par l’arrivée de la performance, du happening ou du théâtre postdramatique dans les années 1960 et 70, la mise en scène existant alors depuis au moins 70 ou 80 ans. Selon elle « le monstre théorique du ‘spectateur’ (du spectateur en soi) » (p.21), provient « du rêve élaboré par certains autour du théâtre populaire, dans le cadre d’une identification générale du théâtre à un espace politique classique. » (p.21). Elle dénonce la grande tentation ritualiste qui fait des spectateurs et des acteurs des officiants réunis en une communauté et qui remplace les notions critiques et politiques par des termes trop vaguement philosophiques. Toutes ces positions seront encore confirmées, nuancées et développées dans ses articles plus récents et dans sa contribution à About Performance (2010).

2008. Jacques Rancière. Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique éditions.

Il ne faut pas attendre de cet essai philosophique des précisions sur le spectateur de théâtre dans l’acte concret de la réception, mais une réflexion philosophique de haut niveau sur la position et l’ « activité » du spectateur, une mise au point salutaire à propos de quelques mythes contemporains sur l’activité, la communauté des spectateurs, sur le diagnostic naïf et erroné selon lequel « être spectateur, c’est être séparé tout à la fois de la capacité de connaître et du pouvoir d’agir. » (p.8). Le théâtre, ne serait-ce que depuis Rousseau, voudrait parfois éliminer les spectateurs, ou du moins la position de spectateur, pour en faire un participant à une cérémonie ou un membre d’une communauté regroupant acteurs et spectateurs désormais confondus. Cette critique s’adresse autant à Brecht pour qui le théâtre est « une assemblée où les gens prennent conscience de leur situation et discutent leurs intérêts » qu’à Artaud selon qui le théâtre est « un rituel purificateur où une collectivité est mise en possession de ses énergies propres. » (p.12). Tout le problème vient de cette volonté actuelle de supprimer la séparation entre spectateur et acteur, de réduire l’activité du spectateur à sa mobilité physique. A cela s’ajoute une conception dépassée où les spectateurs étaient censés comprendre exactement les explications données par l’auteur puis le metteur en scène. On est là, estime Rancière, dans la « logique du pédagogue abrutissant, la logique de la transmission droite à l’identique » (p.20). A quoi il oppose « le paradoxe du maître ignorant : l’élève apprend du maître quelque chose que le maître ne sait pas lui-même » (p.20). Transposé à la relation metteur en scène/spectateur, cela veut dire que le metteur en scène ne sait la plupart du temps pas ce qu’il fait, ni même ce qu’il essaie de faire comprendre : « L’artiste, lui, ne veut pas instruire le spectateur. Il se défend aujourd’hui d’utiliser la scène pour imposer une leçon ou faire passer un message. Il veut produire une forme de conscience, une intensité de sentiment, une énergie pour l’action. » (p.20). Rancière semble ici décrire l’artiste et le spectateur postmodernes, lesquels ne visent plus à établir ou rétablir un sens. Aussi s’étonne-t-on que dans la phrase suivante, l’auteur, par méconnaissance de la production théâtrale actuelle, retire à l’artiste cette liberté de « ne pas imposer au spectateur le sens qu’il aurait mis dans sa dramaturgie ou sa performance. » (p.20). Ceci est d’autant plus regrettable que l’auteur, même sans entrer dans le détail des mises en scène et des performances contemporaines, esquisse une typologie pertinente des pratiques interartistiques de l’art contemporain, en prenant soin d’inclure tous les arts, notamment plastiques, dans son corpus et en distinguant « trois manières de comprendre et de pratiquer ce mélange des genres » (p.27). Rancière distingue : 1) la manière qui « réactualise la forme de l’œuvre d’art totale ». 2) « ensuite l’idée d’une hybridation des moyens de l’art propre à la réalité postmoderne de l’échange incessant des rôles et des identités, du réel et du virtuel, de l’organique et des prothèses mécaniques et informatiques ». 3) une troisième manière qui nous paraît la mieux appropriée pour endiguer ce retour du communautaire néo-ritualiste et du spectateur actif au point de devenir l’égal des créateurs du spectacle. Cette « troisième manière ne vise plus l’amplification des effets mais la remise en cause du rapport cause-effet lui-même et du jeu des présuppositions qui soutient la logique de l’abrutissement. » (p.28). Cette dernière manière conçoit la scène « comme une nouvelle scène de l’égalité avec la narration d’une histoire, la lecture d’un livre ou le regard posé sur une image » (p.28).

Ce livre, d’un abord difficile, a le mérite de replacer la problématique du spectateur et de l’interprétation dans le contexte d’une réflexion philosophique sur ce que le spectateur peut savoir ou ferait mieux au contraire d’ignorer. Il sera mieux compréhensible après lecture des autres ouvrages.

2008. Bénédicte Louvat-Molozay et Franck Salaün. (éds.) Le Spectateur de théâtre à l’âge classique. XVII° et XVIII° siècles. Montpellier. L’Entretemps.

Les directeurs de ce précieux ouvrage montrent bien dans leurs introductionscomment « l’invention de la ‘condition spectatrice’, sinon sa mise en œuvre effective, coïncide avec l’avènement de la dramaturgie classique et avec l’effort théorique qui l’accompagne. » (p.23). Selon eux, dans cette « ‘archéologie du spectateur à l’âge classique’, deux faits s’imposent : d’une part l’importance croissante dévolue, à partir de 1630, à la réception du spectacle théâtral dans la théorie dramatique ; d’autre part l’instabilité du lexique chargé de nommer l’instance de réception, « spectateur(s) » n’apparaissant que comme l’une de ses désignations possibles, aux côtés de « peuple » et surtout d’ « auditeur(s) » (p.23). Les auteurs montrent que « le spectateur est donc un concept d’époque, qui s’inscrit dans le champ théorique français à partir des années 1630 ». Ce terme coexiste avec celui plus fréquent alors d’ « auditeur », notion qui renvoie à la rhétorique, à l’art oratoire et à la déclamation qui dominent encore au XVII° siècle le jeu de l’acteur. « On peut considérer que la victoire du ‘spectateur’ s’explique par l’autonomisation de la pratique et du lexique dramatiques à l’égard du champ de la rhétorique auquel ils étaient auparavant adossés autant que par l’importance qu’acquiert le paradigme pictural et avec lui le sens de la vue dans la réflexion théorique classique » (p.27). Le terme et le concept de spectateur s’imposent au XVIII ° siècle : « Il permet de tenir compte d’au moins trois types de relation, selon que l’on considère les spectateurs concrets, le spectateur présupposé, ou le spectateur transformé par le spectacle » (p.29). Notons que cette troisième fonction, qui « exige une théorie de l’effet durable du théâtre sur le spectateur » ( p.30), est celle qui nous intéresse particulièrement quand nous examinons l’effet produit sur le spectateur et sommes à la recherche d’une théorie des affects, inspirée de celle des passions, mais surtout liée à celle de la kinesthetic empathy (identification par le mouvement), la façon dont nous identifions et refaisons en nous un mouvement que nous percevons en tant que spectateur.

Une vingtaine de belles études de cas affinent et précisent ces hypothèses et nous donnent une excellente vue d’ensemble. Il est nécessaire de fonder la réflexion contemporaine sur de telles études historiques concrètes. Notre connaissance des salles de théâtre, de la dramaturgie, des genres et des styles de jeu en sort renforcée et mieux à même d’expliquer les mutations récentes de la fonction du spectateur.

2008.Th. Hunkeler, C. Fournier Kiss et A. Lüthi (éds). Place au public. Les spectateurs du théâtre contemporain. Genève, Métis Presses.

Ce volume est bienvenu pour le public uniquement francophone, car il contient des contributions d’auteurs reconnus, peu traduits en français ou accessibles surtout en anglais, comme, Erika Fischer-Lichte, Malgozata Sugiera, Hans-Thies Lehmann ou Andreas Kotte.

Malheureusement, la qualité des articles est très inégale. On y trouve une excellente mise au point de Marie-Madeleine Mervant-Roux, qui revient sur tout son parcours de chercheuse confrontée à l’analyse du public. Lehmann y donne des précisions éclairantes sur le spectateur pré- et postdramatique et une analyse soigneuse de la notion d’anagnorisis, ce qui permet de mieux comprendre les métamorphoses actuelles du spectateur. En revanche, Fischer-Lichte, voulant prouver l’activité du spectateur — comme si elle venait là de faire une découverte — se borne à citer quelques metteurs en scène de l’avant-garde européenne du début du XX° siècle, partisans de l’activation du spectateur, et à répéter sans argumenter combien le spectateur est un « créateur d’un nouveau sens » (p.74), quelqu’un pour qui « regarder un spectacle signifie toujours agir, et dans le meilleur des cas, agir de manière créative. » (p.83).

On trouvera une excellente réflexion de Marco Baschera, « Le spectateur face à la naissance des signes. » En quelques pages, l’auteur resitue la problématique du spectateur percevant sur scène des choses « à la fois réelles et irréelles » (p.105). Le spectateur se définit « en tant que centre décentré du théâtre : son attention se porte loin de lui sur les acteurs et sur leur jeu scénique. Du point de vue de la scène, c’est qu’elle s’expose. Ainsi s’ouvre-t-elle au regard d’un autre, du spectateur. Elle ne saurait tenir debout toute seule. L’acteur la dresse devant les yeux du spectateur. De la sorte, l’action parlée ou gestuelle crée un vide que le spectateur est appelé à combler partiellement par sa présence muette et par son attente. Il y va du problème de l’adresse de cette action qui vise le public, mais sans qu’il y ait ni communication ni échange directs. » (p.107). Analysant le début de La Scène de Novarina, Baschera se réfère aux travaux de Mondzain. Pour celle-ci, « voir ensemble ce n’est pas partager une vision car jamais personne ne verra ce que l’autre voit. On ne partage que ce qu’on ne voit pas. C’est cela l’invisible. Voir ensemble, c’est partager l’invisibilité d’un sens » (Voir ensemble, 2003, p.140), Baschera formule l’hypothèse, selon laquelle il existe un rapport, difficile à cerner, qui relie l’invisible sur scène à la présence muette des spectateurs : ce serait par l’oreille que le spectateur voit et vice versa. » (p.114). En quelques phrases, les deux auteurs font plus pour notre compréhension du spectateur que bien des livres qui lui sont explicitement consacrés.

2009. Dennis Kennedy. The Spectator and the Spectacle. Audiences in Modernity and Postmodernity. Cambridge University Press.

Une très belle étude qui aborde la question du spectateur du point de vue historique des débuts de la mise en scène, avec des exemples empruntés aux mises en scène de Shakespeare, notamment dans une perspective interculturelle, mais qui poursuit l’enquête jusqu’à la participation de croyants et de non-croyants à des rituels dans une culture différente de la leur. Le corps, la subjectivité, la mémoire et la foi du spectateur sont soigneusement abordés, de manière cohérente, même si le livre reprend des articles déjà publiés et donne parfois

l’impression d’un kaléidoscope postmoderne.

2009. Rachel Fensham. To Watch Theatre. Bruxelles, Peter Lang.

Cet ouvrage, actuellement le plus ambitieux sur la question, se donne pour mission de « regarder le théâtre en tant qu’activité incarnée » (p.11). Le spectateur a été presque toujours considéré comme un décodeur sans corps, n’utilisant que son cerveau et sa faculté de penser, oubliant que les corps ne sont pas seulement sur la scène, mais dans la salle. La notion d’incarnation (d’incorporation, au sens de embodiment) a été appliquée aux acteurs, aux danseurs ou aux performers, mais rarement aux spectateurs. C’est à quoi s’emploie l’auteur en proposant une « sémiotique corporelle ». Son livre montre l’interaction de trois concepts clés : « Le genre, ce terme formel qui structure la théâtralité, comprenant la grammaire textuelle d’une œuvre dramatique, son style de jeu, le cadre théâtral et le mode d’adresse rhétorique ; la corporalité, cet assemblage du travail physique troublant des acteurs, les formes figuratives dans le texte et les corps ambivalents des spectateurs ; et la représentation (performance), la présentation du théâtre comme action symbolique dans le monde social » (p.1).

Cherchant l’origine et les applications de la notion de « to watch », Fensham constate que traditionnellement les hommes « montent la garde », tandis que les femmes gardent et surveillent leurs « enfants malades ou endormis » (p.11). « Watching theatre », regarder le théâtre, en le surveillant autant qu’en le gardant, c’est « ressentir, reconnaître et réagir à ce qui se passe entre deux corps » (p.11), ce qui nous rend conscients des corps en mouvement et de la relation de notre corps à celui des autres. L’auteur se propose de déterminer en quoi regarder quelque chose avec des personnes est une expérience qui fait appel aux affects, à la cognition et à l’assemblée théâtrale » (p.1). Il constate que de nombreux chercheurs dans la mouvance postdramatique ont recours aux outils et aux notions des Visual Studies : ils renoncent à décrire la représentation en termes psychologiques et recourent « à des mots clefs comme l’autoréférence, le non-figural ; l’art abstrait ou concret, l’autonomisation des signifiants, la sérialité ou l’art aléatoire » (Lehmann, Postdramatic Theatre, London, Routledge, 2006, p. 94).

Fensham relève l’obsession de la critique, « dans l’ère post-Peter Brook et Grotowski » (p.14), pour la notion de témoignage, qu’elle distingue de sa propre notion de regarder/observer. Son livre explore trois voies principales, correspondant aux trois concepts clés évoqués plus haut : 1) « L’affect de la représentation sur le spectateur » (p.14), un impact que les recherches futures devront encore davantage élucider ; 2) « les éléments discrets dans la mise en scène » (p.15) et dans l’inconscient de cette mise en scène. Le « watcher », ce spectateur observateur, doit « être quelque part entre le sommeil et l’état de veille » (p.14). Il s’agit donc d’être attentif à ces éléments de la mise en scène et non aux notions de personnage ou de texte : « Nous avons une conscience aiguë des effets matériels d’une représentation non pas avec des unités de sens comme le personnage ou un discours, mais avec des éléments discrets de la mise en scène » (p.15). Cette observation confirme la volonté d’analyser le rôle du spectateur face au système global de la mise en scène, et non d’éléments isolés de la structure dramatique ; 3) quant à la troisième voie explorée, c’est celle de la théorie des genres littéraires et théâtraux. Ce recours au genre, une notion que la sémiologie avait un peu trop vite écartée comme trop normative, marque pour Fensham un retour à la dramaturgie comme principe directeur d’analyse du texte ou de la représentation. On comprend bien alors la stratégie de sa recherche sur le spectateur : « tracer un chemin entre la théorisation plutôt formelle du genre et les modes d’observation viscéraux, sensoriel et critiques que requiert une relation incarnée » (p.15). C’est à quoi s’emploie brillamment le livre en analysant quatre mises en scène contemporaines de tragédies tout en observant les réactions du spectateur contemporain. L’expérience esthétique consistant à regarder une tragédie aujourd’hui nous permet d’affronter notre sombre époque, voire d’ « ajouter quelque chose à la dimension collective de ce genre le plus civique, même s’il est aussi très incivil » (p.167). Le grand mérite de cette recherche est donc de réévaluer le rôle du spectateur non pas de manière abstraite et non historique, comme d’ordinaire, mais de manière engagée, tant dans l’analyse des affects et du théâtre en train de se faire que dans la compréhension de notre époque en train de s’analyser.

2010. Matthew Reason. The Young Audience. Exploring and Enhancing Children’s Experiences of Theatre. Trentham Books, London.

Peut-être le premier livre consacré entièrement à la réception du théâtre par le jeune public. Livre remarquable par sa réflexion méthodologique autant que par sa description des conversations avec les enfants après un spectacle et l’utilisation de leurs dessins comme moyen de prolonger l’expérience théâtrale. Le livre est une méditation raisonnée sur le plaisir de regarder non pas comme un consommateur passif, mais comme un participant actif. « L’activité du public est multiple, l’activité des plaisirs et des engagements ainsi que des processus avec lesquels les spectateurs réagissent aux spectacles en le regardant et après l’événement. L’activité du public a été au centre de ce livre qui a cherché à décrire et à analyser comment les enfants regardent le théâtre. Il a examiné la double vision avec laquelle les jeunes publics se confrontent à l’expérience de l’illusion, du récit et du personnage et en même temps à l’apparence de la mise en scène, de la technique et de la représentation. » (p.171). Voir l’article de Matthew Reason dans ce dossier.

2010. Laura Ginters, Gay McAuley. About Performance, n°10.

Ce numéro spécial de la revue du Department of Performance Studies, University of Sydney, donne une bonne vue d’ensemble des principales interrogations actuelles à propos du spectateur contemporain, du point de vue britannique et australien, essentiellement. Le spectateur y apparaît bien à la croisée des enquêtes actuelles sur le théâtre d’aujourd’hui, avec quelques échappées vers des performances comme les courses de vélo cross-country en montagne (Kath Bicknell) ou la manière dont les Balinais abordent, en tant que ‘sujets observants’, leur expérience et leur pratique de spectateur (Mark Hobart).

Plusieurs auteurs se réfèrent au spectateur comme témoin à l’intérieur d’une communauté, mais ces deux notions ne sont guère critiquées, sinon d’un point de vue continental, voire français, par Marie-Madeleine Mervant-Roux, laquelle reste de tous les auteurs la plus critique, car « dans ce contexte marqué par des valeurs néo-rituelles de communion ou d’opération collective, nous avons assisté au retour de la vieille idée du spectateur — thème récurrent depuis les années 1960 — qui assimile immobilité physique à passivité » (p.229). Autre ‘outsider’, Wilmar Sauter livre un bilan nuancé de trente années deReception Studies et des avancées empiriques, méthodologiques et théoriques. Bilan à la fois satisfait et encore insatisfaisant : « La notion que les publics font intégralement partie des événements théâtraux a pris fermement racine au cours de ces décennies mais les chercheurs en études théâtrales doivent encore intégrer ces évidences théoriques dans leur recherche historique et empirique » (p.261).

Pour l’ensemble des auteurs de ce volume, c’est fait depuis longtemps. Parmi eux, Matthew Reason, qui redéfinit patiemment l’expérience du spectateur, tente de la prolonger par des discussions d’après-spectacle ou des ateliers où les spectateurs sont invités à dessiner leur souvenir du spectacle qu’ils ont vu récemment : « le désir de parler se fonde sur le besoin d’affirmer sa propre mémoire de l’événement dont il vient d’être témoin ». Il s’agit donc, poursuit Reason, « d’un désir urgent de parler (et par là de se souvenir) des spectacles dont (le spectateur) a fait l’expérience » (p.27). « L’expérience devient quelque chose de construit par nous-mêmes pour les autres, à l’intérieur d’un contexte social/culturel, lorsque nous cherchons à comprendre et à rendre intelligible le monde autour de nous » (p.32).

Parmi les études de cas, toutes pertinentes, de ce volume, signalons l’étude remarquable de Heather Lilley, qui parvient à faire la jonction entre l’esthétique de la réception d’un Jauss ou d’un Gadamer et la notion de communauté : ‘communauté imaginée’, empruntée à Benedict Anderson, et ‘communauté interprétative’, proposée par Stanley Fish. Cette jonction inespérée aide le chercheur à retrouver le lien manquant dans bien des études contemporaines du spectateur : le lien à la dramaturgie et à la poétique du spectacle, donc à l’interprétation de l’œuvre par le spectateur. Lilley distingue trois principaux domaines de la dramaturgie qui influencent considérablement la réception de la représentation par le public : « (1)La reconnaissance partagée de symboles culturels qui façonnent les processus psychiques de l’interprétation ; (2)le contact public-représentation comme moyen de créer un sens d’appartenance (fellowship) ainsi qu’une expérience sociale festive ; et (3) le partage du temps et de l’espace en tant qu’ils influencent les réponses sensorielles, corporelles et imaginatives à l’œuvre et permettent une fois encore une appréciation partagée de l’événement considéré comme une expérience festive et collective » (p.45). Grâce à cette poétique et à cette dramaturgie, l’auteur redéfinit le spectateur comme celui qui est « entraîné dans l’action par la transformation systématique du public en une communauté interprétative temporairement unie » (p.48). Son approche, bien loin de métaphoriser encore un peu plus l’instance spectatoriale, de la réduire à quelques vagues fonctions mal définies, prend soin au contraire de replacer le spectateur dans le cadre de la production de sens. Il suffisait d’y penser !

2010. Florence March. Relations théâtrales. Montpellier, L’Entretemps.

Ce petit ouvrage (90 pages) contenant de très fines analyses de spectacles vus à Avignon a le grand mérite de partir d’exemples récents et concrets pour encourager, une fois lues les analyses, une future méditation théorique et une réévaluation du spectateur en tenant compte à la fois des travaux des philosophes (Mondzain, Didi-Huberman, Baudrillard) et des mises en scène les plus provocantes et ambitieuses. Il est dommage que Florence March n’ait pas poursuivi sa réévaluation jusqu’à Lehmann ou Balme en passant par Habermas et M. Reason et qu’elle se contente de reprendre la conception de la relation théâtrale héritée des années 50 et 60, celles de Vilar, Dort, Banu, Brook ou Grotowski ; il est tout aussi dommageable qu’elle ne replace pas systématiquement la pratique actuelle du théâtre dans un cadre et un exposé théorique plus vaste : celui des médias et de l’intermédialité, des performances studies et de l’interculturalité. Fort heureusement, elle est pourtant tout à fait consciente de la nécessité de promouvoir « ce spectateur en action (qui) fait voler en éclats le cadre conventionnel de la représentation » (p.45), puisqu’elle décrit très judicieusement les efforts du Groupe Miroir, cette rencontre de spectateurs réfléchissant sur « l’expérience spectatorielle », qui « repousse systématiquement les limites spatio-temporelles, s’attachant à démontrer que le public existe en dehors du spectacle » (p.46). Ses micro-analyses de CNN (Chartreuse News Network) déconstruisent — ni vu ni connu, tongue in cheek — les anciennes théories de ses propres références et (mauvaises) fréquentations théoriques ?

Ses analyses ouvrent la voie aux futures réalisations du théâtre confronté aux médias ainsi qu’à une réflexion théorique déjà ébauchée par les travaux de McLuhan, Reason, Auslander et Balme : « Cette recherche des interactions possibles entre théâtre et médias interroge nécessairement la nature de la relation théâtrale tout autant que notre rapport aux nouvelles technologies et à l’information ». (p.66)

2011. Anne Gonon. In vivo. Les figures du spectateur des arts de la rue. Montpellier, L’Entretemps.

Ouvrage précieux, car il donne une image assez précise des types de spectateur dans un genre de plus en plus important, numériquement et symboliquement : le spectacle de rue. Grâce à une très bonne connaissance pratique du milieu, Anne Gonon identifie selon des critères assez fins les différents types de spectateur. Elle en propose une catégorisation, avec le risque que les catégories très fines soient aussi un peu subjectives et trop psychologiques, qu’elles ne tiennent pas suffisamment compte des attentes des spectateurs ni de la particularité des spectacles. Il y aurait trois états de spectateur de rue : le spectateur déterminé, en puissance, accidentel. L’auteur distingue ensuite des paramètres selon 1) les contextes de diffusion, 2) les temporalités, 3) la théâtralisation du spectateur, 4) sa dramatisation. Les sous-catégories les plus spécifiques concernent l’espace, avec le risque de distinctions parfois artificielles ou peu pertinentes. L’auteur est conscient que le spectateur des rues est « exposé », « engagé corporellement », « chahuté », mais qu’il reste tout de même « au cœur de la partition » (p.169).

Acteurs et spectateurs sont toujours « main dans la main » (p.172), voire « les yeux dans les yeux » (p.173) — ici s’arrête l’intimité. L’auteur regrette le temps où le spectacle de rue s’adressait à « l’habitant », à des passants réels issus de la population en général, et non à des spécialistes. Elle compte sur le théâtre de rue pour « l’irrigation des territoires et les évolutions de la création contemporaine » (p.186) ainsi que pour la restitution aux spectateurs-habitants d’une part vive de cette création. In vivo veritas.


Notes de fin

[1] Marie-Madeleine Mervant-Roux, Figurations du spectateur. Une réflexion par l’image sur le théâtre et sur sa théorie, Paris, L’Harmattan, 2006. Voir plus le compte rendu plus loin. Voir également du même auteur : L’Assise du théâtre. Pour une étude du spectateur, Paris, CNRS, 1998.
[2] Florence Naugrette, Le Plaisir du spectateur de théâtre, Paris, Bréal, 2002. Voir plus bas le compte rendu.
[3] Marie-Madeleine Mervant-Roux, Figurations du spectateur. Une réflexion par l’image sur le théâtre et sur sa théorie, p.17.
[4] Ibid., p.21.
[5] Régis Durand (Ed.), La Relation théâtrale, Presses de l’Université de Lille, 1980.
[6] Patrice Pavis, Voix et Images de la scène, Presses de l’Université de Lille, 1982.
[7] Voir les ouvrages de Willmar Sauter et plus récemment : The Theatrical Event : Dynamics of Performance and Perception, University of Iowa Press, 2000.
[8] Titre de son essai de 1964.
[9] Marie-Madeleine Mervant-Roux, Op. cit., p.30.
[10] Ibid., pp.64-67.
[11] Revault d’Allonnes, L’Assemblée théâtrale, op.cit., p.126.
[12] On trouvera une excellente vue d’ensemble sur « Spectators and Audiences », dans Balme, 2008. Voir bibliographie finale.
[13] Paris, Seuil, 1973.
[14] Nathalie Piégay-Gros, Le Lecteur, Paris, Flammarion, 2002.
[15] « E-lire » au sens de : sortir une lecture de, « ramasser » (auflesen, dit l’allemand). « In-specter » au sens de pénétrer du regard.
[16] Patrice Pavis, Le Théâtre contemporain, Paris, Armand Colin, (2002), 2011.
[17] « Ils ne sont pas uniquement des « ‘vides sémantiques’ », des défauts du sens, mais ils sont aussi des possibilités d’assemblage et de combinaison toujours en suspens. Ils sont donc suspendus (plutôt que « remplis » ) lorsque telle liaison est établie, telle signature précisée. » (Piégay-Gros, p.229)
[18] Jan Lauwers, Editorial, Bulletin de la Needcompany, décembre 2011.
[19] Le Monde, 25 Juin 1995.
[20] Matthew Reason, « Audience », Performance Research, Volume 11, n°3, September 2006, p.8.
[21] Franck Bauchard, Bulletin du CNES, Villeneuve, 2001, p.3.
[22] Maaike Bleeker, Visuality in the Theatre. The Locus of Looking. Palgrave, 2008, p.16.
[23] Matthew Reason, « Audience », Performance Research, Volume 11, n°3, September 2006, (A Lexikon), p.9.
[24] Marie-José Mondzain, Le commerce des regards, Seuil, 2003, p.140.
[25] Emilio Garcia, « Interview », Buenos Aires, génération théâtre indépendant, Les Solitaires Intempestifs, 2010, pp.71-72.
[26] Hans-Thies Lehmann, Postdramatic Theatre, London, Routledge, 2006, p.43.
[27] Joël Pommerat, Joëlle Gayot, Troubles. Un théâtre du doute, Actes Sud, 2009, p.65.
[28] Yves Michaud, L’art à l’état gazeux : essai sur le triomphe de l’esthétique, Paris, Editions Stock, 2009, p.35.
[29] Hans-Thies Lehmann, Das postdramatische Theater, Verlag der Autoren, 1999, p.471.
[30] Yves Michaud, Op. cit., p.167.
[31] Ibid., p.167.
[32] Ibid., p.171.
[33] Article « avant-garde », Encyclopédie thématique de la culture, Encyclopaedia Universalis, 2004, p.508.
[34] Par exemple Erika Fischer-Lichte, Aesthetik des Performativen, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 2004.
[35] Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973.
[36] ­Marie-Madeleine Mervant-Roux, Figuration du spectateur, Op.cit., p.34.
[37] Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, Paris, L’Arche, p.220.
[38] Voir Marie-Josée Mondzain, Homo spectator. De la fabrication à la manipulation des images, Editions Bayard, 2007.
[39] Herbert Blau, The Audience, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1990, p.25.
[40] Emmanuel Ethis, « Le cinéma, cet art subtil du rendez-vous », Communication et langage, n°154, décembre 2007.
[41] Daniel Sibony, « Spectateur, Spectracteur », La position du spectateur aujourd’hui dans la société et dans le théâtre, Du Théâtre, n°5, mars 1996, pp.45-52.
[42] Florence March, Relations théâtrales, Montpellier, l’Entretemps, 2011. Les désignations ci-dessus sont citées par F. March dans son ouvrage, pp.20-25. Voir le compte rendu dans la bibliographie raisonnée, plus bas.
[43] Jean-Paul Sartre, Vers un théâtre de situations, Paris, 1992, p.349.
[44] Tim Etchell, Certain fragments, pp.17-18.
[45] Paris, Gallimard, 2009.
[46] Karski, Ibid., p.31.
[47] Emmanuel Hoog, Mémoires années zéro, Paris, Seuil, p.24. Voir aussi le livre d’Annette Wieworka, L’Ere du témoin, Paris, Plon, 1998.
[48] Rachel Fensham, To Watch Theatre, Peter Lang Verlag, 2009. Voir le compte rendu plus loin.
[49] Ibid., p.19.
[50] Ibid., p.19.
[51] Erika Fischer-Lichte. The Transformative Power of Performance. Routledge, 2008.
[52] Christopher Balme, « Distributed aesthetics : performance, media and the public sphere », Theatrical Blends, Jerzy Limon and Agnieska Zukowska, eds. Gdansk, 2010, p.147.
[53] Luc Boltanski, Intervention lors de la rencontre du 21 mai 2001, L’Assemblée théâtrale, op.cit., p.13.
[54] Sur la notion de « distributed aesthetics », voir l’article de Christopher Balme in Theatrical Blends, op.cit., pp.138-148, ainsi que sa référence aux travaux de Anna Munster et Geert Lovink, « Theses on Distributed Aesthetics : or What a Network is Not », Fibreculture, n°7, http://journal.fibreculture.org/issue7_munster_lovink.html.

Autres publications récentes portant en partie sur le spectateur

La référence au spectateur est très fréquente dans les études théâtrales et « performatives » de ces vingt dernières années. Il est donc conseillé de s’y reporter, car les remarques isolées y sont souvent très éclairantes. Signalons les ouvrages suivants :

2001, Marvin Carlson. The Haunted Stage: the Theatre as Memory Machine. Ann Arbor, University of Michigan Press.

2004, Vicky Cremona, Peter Eversmann et al. Theatrical Events: Borders, Dynamics, Frames. Amsterdam, Rodopi.

2004, Erika Fischer-Lichte. Asthetik des Performativen. Frankfurt, Suhrkamp. (The Transformative Power of Performance: a New Aesthetics, London, Routledge, 2008.)

2006, Matthew Reason, “Audience”, Performance Research. A Lexikon,Volume 11, n°3, September.

2006, Nicolas Ridout. Stage fright, Animals and Other Theatrical Problems, Cambridge University Press.

2006, Susan Hayward. Articles “audience”, “spectator”, “agency”, Cinema Studies. The Key Concepts. London, Routledge.

2007, Christoper Balme. Pacific Performances. Palgrave.

2008, Christopher Balme. “Spectators and Audiences”, The Cambridge Introduction to Theatre Studies, Cambridge University Press.

2008, Jan Deck, Angelika Sieburg (Hg.) Paradoxien des Zuschauens, Bielefeld, Transkript.

2008, Jens Roselt. Phänomenologie des Theaters, München, Wilhem Fink Verlag.

2008, Maaike Bleeker. Visuality in the Theatre, London, Palgrave.

2008, Peter Rabinowitz, “ Audience”, Routledge Encyclopedia of Narrative Theory. Edited by D. Herman, M. Jahn and Marie-Laure Ryan, London.

2009, Helen Freshwater. Theatre and Audience, London, Palgrave.

2010, Erin Hurley. Theatre and Feeling, London, Palgrave.


Pavis

*Patrice Pavis was professor of theatre studies at the University of Paris (1976-2007) and the University of Kent at Canterbury. Educated in the Ecole normale supérieure de Saint-Cloud (1968-1972), where he studied German and French literature, he has published a Dictionary of theatre (translated into thirty languages), and books on Performance analysis, Contemporary French dramatists and Contemporary mise-en-scène. He is an Honorary Fellow at the University of London (Queen Mary) and Honoris Causa Doctor at the University of Bratislava. His most recent publication is La Mise en scène contemporaine, Armand Colin, 2007; English translation by Routledge, 2012. In 2011-2012, he is a visiting professor at the Korea National University of the Arts, Seoul.

Copyright © 2012 Patrice Pavis
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411

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Le point de vue du spectateur