Yun-Cheol Kim
(Rédacteur en chef, président de l’AICT)
Ce quatrième numéro de Critical Stages/Scènes critiquesmarque l’apparition de trois changements importants. D’abord, CS/Sc sera désormais mis en ligne en juin et en décembre de chaque année au lieu d’avril et octobre. Le comité éditorial en a décidé ainsi à sa réunion de septembre 2010, lors d’une croisière en bateau sur la Baltique, entre Helsinki et Riga, à l’occasion du 20eanniversaire du Festival de la Maison balte. Cet ajustement au calendrier permettra aux collaborateurs, dans chaque numéro de la revue, de faire place à davantage de spectacles et d’activités, tout en leur accordant plus de temps pour le faire. Deuxième changement, plutôt regrettable, qui nous a été imposé : Mme Maria Helena Serôdio a renoncé à son poste de rédactrice en chef, après avoir orchestré nos trois premiers numéros. Son expertise, sa compétence et les sacrifices qu’elle a dû consentir ont été déterminants dans la naissance de cette revue. Critical Stages/Scènes critiques aurait bien pu ne jamais voir le jour sans sa direction. Puisque Mme Serôdio retourne au comité éditorial, j’ai dû personnellement assumer cette tâche. Cependant, je me considère rédacteur en chef par intérim, jusqu’à ce que j’aie trouvé quelqu’un pour assurer la relève.
À ce titre, j’ai implanté une troisième série de changements, en mettant sur pied une section intitulée « Sujets spéciaux ». On y trouvera des articles ou des écrits abordant les enjeux actuels du théâtre sous un angle esthétique ou thématique ; étudiant les politiques théâtrales régionales ou sur un plan international ; ou explorant d’autres phénomènes intéressants ou pertinents sur le plan social dans le théâtre contemporain. J’ai aussi nommé des chefs de sections, qui prendront l’initiative d’assurer le dynamisme du secteur sous leur responsabilité. Ces changements ont bien fonctionné : on en voit le résultat dans ce numéro.
Le dossier spécial de ce numéro est « La censure déguisée ». Récemment, j’ai appris que des interventions politiques en matière de culture, aussi malheureuses qu’anachroniques, avaient eu lieu, surtout en Europe centrale et de l’Est. Comme président de l’AICT, j’ai publié des lettres de protestation que j’avais écrites dans les cas de la Hongrie, du Bélarus et de la Serbie, afin de protéger les droits de mes collègues et leur liberté d’expression par la critique de théâtre ; deux de ces lettres ont été placées sur notre site Web, <aict-iatc.org>. À l’heure des révolutions de jasmin, toute censure est un non-sens. En décrivant des spectacles hongrois et serbe respectivement, Andrea Tompa et Ivan Medenica nous informent sur la manière dont les artistes du théâtre ont répliqué à ces actions. Randy Gener a pour sa part veillé de près aux angoisses de la compagnie engagée Belarus Free Theatre, dont il nous rapporte avec conviction le courage face à la censure et à la persécution. Pour pousser encore plus loin le sujet, ailleurs dans ce numéro, le compte rendu de Jean-Pierre Han sur le théâtre en Iran et l’essai d’Alvina Ruprecht sur le théâtre cubain font aussi référence à l’idée d’une « censure déguisée ». Ainsi, nous avons pu réunir un impressionnant bouquet d’articles pour notre premier dossier spécial, à la fois à l’intérieur de la section et en dehors, qui nous pousseront à combattre ensemble cette pratique malsaine, avec autant d’énergie que de détermination.
Dans la section des entretiens, dirigée par Randy Gener, plusieurs artistes du théâtre venant d’Europe et d’Asie, Zinnie Harris, Ifor Josif, Jan Lauwers, Arne Lygre et Ma Bao-Shan, sont interrogés par Irène Sadowska-Guillon, Lissa Tyler Renaud et Randy Gener. Dans la section des essais, dirigée par Maria Helena Serôdio, Irène Sadowska-Guillon présente Valère Novarina, qui vient de recevoir des critiques français le prix de la meilleure nouvelle pièce ; Alvina Ruprecht traite du théâtre cubain, dont on entend peu parler ; Ajay Joshi se penche sur le théâtre indien postcolonial, sujet toujours intéressant pour notre époque ; Tamás Jászay dévoile les nouveaux projets d’Árpád Schilling, le metteur en scène hongrois le mieux connu à l’étranger ; Maria João Brilhante parle du Teatro Meridional, lauréat du 12ePrix Europe Nouvelles réalités théâtrales ; Sophie Bastien raconte l’histoire de la première version duCaligula de Camus ; enfin, Andrzej Żurowski livre un article sur le pape polonais, Jean-Paul II, dramaturge. Pour la section sur les exposés de colloques, j’ai invité Primož Jesenko, l’organisateur slovène du colloque de Maribor, à choisir cinq communications et à les chapeauter par une introduction sur l’« intercritique ». Chacun de ces exposés présente une conception de la critique et son rôle dans la nouvelle culture critique d’aujourd’hui. Ce colloque a été si bien organisé, et il a réuni tant de communications passionnantes, que Mark Brown, le responsable de cette section, et moi avons décidé par exception de publier d’autres exposés sur ce sujet dans notre numéro de décembre prochain. Nous avons eu un deuxième colloque à Tbilissi, en Géorgie, où nos collègues sont en train de mettre sur pied une section nationale de l’AICT. Le thème, très classique, qui avait été choisi, de l’interaction entre critiques, publics et théâtres, mérite notre attention, aussi publions-nous deux exposés de ce colloque : un par notre collègue de Shangaï, Liu Minghou, l’autre par le critique géorgien David Bukhrikidze. Dans la section Analyse de spectacles, Matti Linnavuori a invité dix critiques d’Afrique du Sud, de Géorgie, de France, de Finlande, de Corée, d’Iran, de Roumanie et de Chine à rendre compte de spectacles d’intérêt dans leur production nationale actuelle, afin que Critical Stages/Scènes critiques puisse servir de « fenêtre guide » sur le monde du théâtre d’aujourd’hui. Don Rubin, qui dirige la section des comptes rendus de lecture, embrasse large en proposant quatre ouvrages : Directors/Directing: Conversations on Theatre de Maria Shevtsova et Christopher Innes, Must You Go? My Life with Harold Pinter par sa femme Antonia Fraser, In Search of Lost Space d’Octavian Saiu et Un œil sur le bazar : Anthologie des écritures théâtrales turques, un recueil d’essais turcs par Irène Sadowska-Guillon. Enfin, deux essais arrivent à point dans la section intitulée Critiques sur la critique, que dirige Andrea Tompa : un par Steve Capra sur les rôles du critique de théâtre à l’heure du journalisme sur Internet ; l’autre par George Jean Nathan, le critique dramatique et rédacteur en chef américain (1882 – 1958), qui constitue une réédition de ses principes sur la critique parus dans son ouvrage The Critic and the Drama (1922).
Je suis fier et heureux de mettre en ligne ce quatrième numéro de Critical Stages/Scènes critiques, avec tant d’articles captivants par tellement de collaborateurs de tant de pays. Hélas, à notre époque, la critique perd radicalement et rapidement du terrain. Mettons donc de côté tout pessimisme, voire défaitisme, qui ne sont que trop courants. Plutôt, élevons la voix en faveur de la critique de théâtre et de l’art du théâtre. Critical Stages/Scènes critiques a maintenant prouvé pour la quatrième fois qu’elle servait bien cette cause essentielle. Je vous remercie de nous lire.