Maria Helena Serôdio[1]

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Au sujet de l’ouvrage de Bertolt Brecht, Me-ti. Livre des retournements, Fredric Jameson se référait à la capacité de refuser l’« individualisme de tous les genres », qui est prédominant, en convoquant une expérience collective vraiment révolutionnaire qui ne deviendrait pas, au bout du compte, une « foule anonyme et sans visage, mais plutôt un nouveau niveau d’être […] Dividuel[2] […], où chaque individualité n’est pas effacée mais complétée par la collectivité. » (JAMESON 1998: 10)

À mon sens, le lancement de Scènes critiques en octobre 2009 peut relever de cette idée de recherche d’une voix collective (mais nullement unanime) qui publierait — sous l’égide de l’AICT — des critiques de théâtre venant du monde entier, offrant ainsi une tribune théorique et critique à des réflexions et des démarches analytiques diverses.

Notre président Yun Cheol Kim a mis sur pied ce projet dès qu’il a commencé son mandat, et m’a fait l’honneur de m’inviter à faire partie de l’aventure à titre de rédactrice en chef. Jusqu’à présent, nous avons publié deux numéros aux dates prévues — en octobre 2009 et en avril 2010 — et nous vous offrons ici le troisième.

J’ai eu la chance de trouver chez plusieurs collègues — non seulement ceux qui font partie du comité éditorial, mais aussi chez plusieurs autres n’en faisant pas partie[3] — la compréhension et l’aide les plus précieuses. Comme la publication de Scènes critiques résulte d’un travail collectif et dévoué n’offrant aucune rétribution matérielle, j’estime que, d’une certaine façon, nous parcourons un sentier de résistance éthique, réagissant ainsi aux nombreuses difficultés que le théâtre, l’art, la culture et l’expertise critique éprouvent en ces temps incertains. Mais cela signifie aussi que nous souscrivons — et nous nous joignons — au nouvel élan démocratique qu’offre la Toile à tout le monde en créant ce nouveau lieu de débats et d’échange de vues. Cela nous permet en outre de profiter des possibilités médiatiques d’Internet pour ajouter des vidéoclips et d’autres illustrations intéressantes.

Ce 3e numéro évoque deux activités importantes du 25e Congrès de l’AICT qui s’est déroulé à Erevan (Arménie) en juin dernier : la remise du prix Thalie à Richard Schechner et le colloque, coordonné par Margareta Sörenson, ayant pour thème « Redéfinir la féminité dans le théâtre d’aujourd’hui ». Tandis que ce dernier événement paraît dans la section « Dossier spécial » dix-sept participants offrant des points de vue aussi variés qu’engagés —, le discours lu lors de la remise du prix par le célèbre metteur en scène et théoricien Richard Schechner — plaidant pour une « distribution libre » sur la scène — est ici présenté par Don Rubin.

Si la section Essais rend hommage à deux grands artistes décédés récemment — Pina Bausch et Laurent Terzieff — et expose des moyens de revisiter les classiques, Critiques sur la critique présente des démarches d’analyse et d’évaluation du théâtre, artisanat autant que pain quotidien des critiques. Leur expertise est d’ailleurs mise à l’épreuve dans Analyses, où ils évoquent et apprécient des spectacles individuels ou des festivals.

Théâtre imprimé se penche sur cinq livres parus récemment et la section Visions de théâtre réunit quatre entrevues avec des metteurs en scène venant de diverses parties du monde.

Pour tout cela, je suis redevable à tous les collaborateurs qui assurent à ce numéro un contenu particulièrement riche et agréable.

En remerciant à nouveau le président de l’AICT, Yun Cheol Kim, pour m’avoir fait confiance comme rédactrice en chef, je veux aussi annoncer que ce numéro sera le dernier publié sous ma responsabilité. C’est lui qui dirigera le prochain qui, selon un calendrier plus commode, paraîtra en juin. Nos dates de parution seront en effet à l’avenir juin et décembre de chaque année.

Je suis persuadée que cette revue continuera à croître en intérêt et en importance et que de plus en plus de critiques et de lecteurs se joindront à nous pour prendre part à cette provocante expérience collective.

Références

DELEUZE, Gilles (1983). Cinéma, vol. I. Paris: Minuit.

__________ (1985). Cinéma, vol. II. Paris: Minuit.

JAMESON, Fredric (1998). Brecht and Method. London & New York: Verso.


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[1] Maria Helena Serôdio est professeure titulaire à la Faculté des Lettres de l’Université de Lisbonne, dont elle dirige le Programme d’études supérieures en études théâtrales. Elle a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre portugais, anglais et nord-américain, sur les études comparées et les études théâtrales dans diverses revues au Portugal et à l’étranger, dans des journaux, des ouvrages collectifs et des encyclopédies. Présidente de l’Association portugaise des critiques de théâtre, elle dirige la revue de l’Association, Sinais de Cena, et deux projets de recherche du Centre d’études théâtrales de l’Université de Lisbonne. Auteure de plusieurs ouvrages sur le théâtre, elle a notamment fait paraître William Shakespeare: A sedução dos sentidos (William Shakespeare : Séduire les sens). Lisbonne: Cosmos, 1996, et Questionar apaixonadamente: O teatro na vida de Luís Miguel Cintra (Questions passionnées : Le Théâtre dans la vie de Luís Miguel Cintra). Lisbonne: Cotovia, 2001.
[2] Gilles Deleuze utilise ce terme pour caractériser Eisenstein (1983: ch. 3 & 11; 1985: ch.7).
[3] Un merci particulier à Francesca Rayner.