Festival de micro-théâtre Équinoxe : conquérir les nouveaux publics

Lorie Ganley*

La 5e édition du Festival Équinoxe, du 15 au 17 septembre 2023 à Strasbourg, en France.

Enregistrement pour la radio du Festival Équinoxe avec l’équipe de la compagnie Toc-Toc. Photo : Chloé Simonin

L’édition 2023 du Festival Équinoxe s’est déroulée à la Maison bleue de Strasbourg, lieu majoritairement dédié aux concerts et réputé pour sa scène alternative. Durant les trois jours de festivités, des artistes provenant des quatre coins de la France ont investi les multiples studios de répétitions pour présenter une pièce de micro-théâtre. Chaque jour, la programmation se renouvelle, permettant ainsi de présenter dix-huit spectacles différents, le tout accompagné par des tables rondes, d’une radio en direct et de concerts de fin de soirée.

Qu’est-ce que le micro-théâtre ?

En réaction à la crise économique espagnole, le concept du micro-théâtre est né en 2009 dans une maison close de Madrid. Miguel Alcantud, à qui l’on attribue l’origine de cette forme théâtrale, a utilisé les chambres du bordel pour créer de courtes performances jouant en simultané et en continu, devant une dizaine de spectateurs, soit le nombre de personnes pouvant entrer dans chaque lieu.

De cette expérience, le metteur en scène a développé sa compagnie Microteatro et a élaboré les lignes théoriques pour encadrer son idée. Le phénomène s’est alors répandu au-delà des frontières de l’Espagne avec un cadre définitoire très précis. « Le concept se résume à trois fois le chiffre 15. C’est à la fois la durée du spectacle (15 minutes) sur une scène réduite (15 m²) et un public restreint (15 personnes). » (DKL, 2021)

Le défi d’attirer le public au théâtre

« La tendance vieillissante du public culturel peut-elle être renversée par le micro-théâtre ? » C’est l’une des questions posées lors des tables rondes ayant lieu en parallèle aux représentations. La directrice artistique du festival, Morgane Enderlin, revendique que le format du micro-théâtre est une piste fertile pour les diffuseurs qui peinent à renouveler leurs publics. La forme peut se comparer au fonctionnement des réseaux sociaux, notamment le phénomène TikTok, qui encourage une consommation de contenu formatée par la rapidité, l’accumulation d’informations et la variété. Cette nouvelle norme de consommation se confronte ainsi aux formes théâtrales plus conventionnelles qui exigent du public de rester assis et silencieux durant parfois plusieurs heures. De plus, le concept répond à l’enjeu financier puisque son petit format diminue les coûts de production. De facto, le prix du billet est réduit, facilitant l’accessibilité des œuvres à un plus large public. Lors d’une soirée au Festival Équinoxe, le public peut plonger dans six propositions différentes et découvrir plusieurs univers et points de vue artistiques à un moindre prix.

Une forme émergente en développement

Sur papier, le micro-théâtre semble déborder de promesses. Cependant, les propositions artistiques présentées durant le festival sont souvent inégales du fait que plusieurs créateurs semblent découvrir la forme en même temps que le public. En fait, le concept se rapproche davantage du théâtre environnemental, tel que l’entend Schechner, puisque la salle de 15 m² et le petit nombre de spectateurs impliquent immédiatement un rapport de promiscuité avec l’œuvre. Le théâtre environnemental joue pleinement avec la présence du public et tend à brouiller la frontière avec le cadre de la théâtralité. C’est tout le contraire des « […] fondements mêmes de l’esthétique orthodoxe [qui sont] l’illusion, la mimesis, la séparation physique entre public et comédiens [et] la création d’un temps et d’un lieu symboliques. » (Schechner, 2008 [1967], p. 196) Le micro-théâtre est alors en confrontation avec ces principes encore très répandus dans les formes théâtrales contemporaines. Les propositions qui se rapprochent du théâtre orthodoxe sont donc fortement mises à mal.

L’interprète Melankhölia Marley dans le spectacle Fleurs de saison(s). Photo : Chloé Simonin

Le spectacle Fleur de saison(s) de Melankhölia Marley (Strasbourg) met en scène un soliloque présenté avec une disposition du public à l’italienne. Le décor est simple : il y a un rideau noir à l’arrière-scène, une chaise pour enfant et une valise déposée au sol. Déjà, le souci du détail semble déficient puisque le bas du rideau est déchiré grossièrement et il laisse entrevoir des instruments de musique maladroitement dissimulés. Une fois le public installé sur des chaises de plastique pour enfants – les mêmes que celle se trouvant dans l’espace de jeu – une drag queen entre dans la pièce. Elle s’adresse alors à sa mère en tentant de la convaincre de la bienveillance de son amant. L’interprète maintient tout au long le quatrième mur en dirigeant son regard au-dessus du public. Certains spectateurs ont le réflexe de se retourner pour voir à qui le personnage s’adresse, soulignant l’obsolescence de la convention du quatrième mur dans un rapport de promiscuité intime entre l’espace de jeu et la salle. Ce type de proposition relève d’une forme traditionnelle qui a été déposée dans un espace et un concept non traditionnels.

Également, l’étroitesse du lieu implique que le public déborde dans l’espace de représentation avec les artistes. Par la promiscuité, les individus deviennent, que ce soit voulu ou non, une partie intégrante de la scénographie et, parfois même, de la lecture sémiologique du spectacle. Pour citer les théories de Schechner sur le théâtre environnemental, « [l]’intégralité de l’espace est utilisée pour la performance » (2008 [1967], p. 120). Les spectacles Lierre[1] et Demain, tout ira mieux[2] jouent de façon efficace avec cette contrainte. Ces deux propositions intègrent l’arrivée du public dans la mise en scène. Les interprètes sont en état de jeu avant même que les spectateurs franchissent la porte de la salle, incluant alors ces derniers dans la situation initiale.

Les comédiennes Juliette Petitjean et Stéphanie Friant dans le spectacle Lierre. Photo : Chloé Simonin

Lierre met en scène un conflit entre une employée d’une usine et une activiste qui vandalise le lieu. Les murs, le sol et le plafond sont recouverts d’une toile de plastique. Le public est en demi-cercle devant la fresque que peint l’activiste. Celle-ci invite alors les spectateurs à participer, ce que plusieurs font avec grand plaisir. La mise en scène intègre très bien les contraintes imposées par le format du micro-théâtre. Cependant, d’un point de vue dramaturgique, le propos est en somme moraliste. À travers un dialogue dynamique, l’activiste convainc l’employée d’adhérer à ses valeurs et cette dernière se libère des contraintes de la société capitaliste en vandalisant à son tour l’usine. La contrainte de développer et conclure un sujet en l’espace de quinze minutes tend à proposer une réflexion qui mériterait d’être davantage développée pour faire place à la nuance.

Le comédien Julien De Ciancio dans la pièce Demain, tout ira mieux. Photo : Chloé Simonin

Demain, tout ira mieux est une forme documentaire. Les spectateurs sont accueillis par deux auto-stoppeurs qui sollicitent du transport.Les interprètes reproduisent leur itinéraire à la conquête de réponses aux questions existentielles de la vie, telles que « Comment s’émanciper ? ». La pièce consiste ainsi en un montage des divers témoignages obtenus auprès des gens qui ont croisé la route des comédiens. La mise en scène propose différents dispositifs pour solliciter la participation du public et lui faire incarner les témoignages des personnes interviewées. La mise en scène explore de façon amusante les différentes façons de jouer avec l’espace et le public. Toutefois, l’aspect dramaturgique glisse parfois un peu trop vers l’anecdote. Faudrait-il revoir le processus d’écriture pour créer une dramaturgie mieux adaptée au contexte du micro-théâtre ?

La musicienne Lebrun Claire accompagne la danseuse Inés Sofia Caradona Perra dans le spectacle Coquille. Photo : Chloé Simonin
Une programmation pluridisciplinaire

Le Festival Équinoxe ouvre également sa programmation à d’autres formes du spectacle vivant avec un microconcert de l’artiste Diff-Angèle, un spectacle de cirque de la compagnie Quico et une performance de la Compagnie de la petite porte. L’aspect pluridisciplinaire de la programmation appuie l’impression de naviguer sur les réseaux sociaux en étant exposé à une grande diversité de contenu.

Au sein de l’offre pluridisciplinaire, le format micro pour la danse est saisissant. Le spectacle Coquille se démarque des autres propositions. Accompagnée au violoncelle par Lebrun Claire, Inés Sofia Caradona Perra danse à quelques centimètres du public. Le moindre mouvement des muscles est alors mis en évidence et permet aux spectateurs de s’attarder sur des détails que la distance qu’impose une scène efface. La musique se construit en direct en suivant attentivement les mouvements du corps de la danseuse, décuplant alors l’effet kinesthésique entre le public et les artistes. Avec pour seules matières le son et le corps, le spectacle réussi à créer une courbe dramatique cohérente et originale.

La danseuse Inés Sofia Caradona Perra dans Coquille. Photo : Chloé Simonin

Certainement, le Festival Équinoxe offre une plateforme aux artistes émergents et à l’expérimentation. « Faut-il ouvrir l’accès aux formes innovantes alternatives dans les salles conventionnelles ? » C’est aussi l’une des questions abordées lors des tables rondes organisées par le Festival. Le format pourrait certainement être accueilli dans les lieux de diffusions traditionnels, en proposant d’ouvrir les espaces habituellement cachés du public comme les locaux de répétition ou les coulisses. Actuellement, les compagnies de théâtre pullulent et peinent à être programmées et subventionnées. Le micro-théâtre est certainement une voie à explorer par les programmateurs pour répondre aux besoins des artistes et du public 2.0.


Notes de fin

[1] Collaboration entre Cie Toc-Toc (Strasbourg) et Cie de Passage (Paris).

[2] Collectif des Pièces Détachées (Verdun).

Bibliographie

Schechner, Richard (2008 [1967]), Performance, expérimentation et théorie du théâtre aux USA, trad. Marie Pecorari, Montreuil-Sous-Bois, Éditions théâtrales, 544 p.

DKL (2021), « À la découverte du micro-théâtre avec la comédienne strasbourgeoise Morgane Enderlin », DKL Dreyeckland, octobre, En ligne, Consulté le 5 octobre 2023. 


*Lorie Ganley est chercheuse émergente en arts vivants, titulaire d’un baccalauréat en études théâtrales de l’Université du Québec à Montréal et d’une maîtrise en théorie théâtrale et dramaturgie à l’Université d’Ottawa. Elle s’intéresse aux dispositifs permettant de transformer le rôle traditionnel des spectateur·trices et aux fonctions mouvantes qu’ils·elles peuvent occuper dans le spectacle. Son mémoire lui a valu la bourse de maîtrise 2023 de la Société québécoise d’études théâtrales. En parallèle à ses recherches, elle collabore à titre de conseillère dramaturgique et assistante à la mise en scène auprès de plusieurs compagnies théâtrales montréalaises.

Copyright © 2023 Lorie Ganley
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN:2409-7411

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