FAME, un premier opus propice aux discussions

Caroline Châtelet*

La première édition du festival FAME en Belgique, en septembre 2022, fut l’occasion pour l’AICT, en partenariat avec l’équipe du festival, d’organiser un stage pour jeunes critiques réunissant près d’une vingtaine de participant.es et animé par la Française Caroline Châtelet. Retours pluriels.

First edition of the festival FAME, Brussels, Belgium, September 2022. This gave an opportunity for IATC, in partnership with the festival organisers, to stage a seminar for young critics which brought together nearly a score of participants from the four corners of Europe and beyond (Canada, Czech Republic, France, Georgia, Lithuania, Moldova, Poland, Slovakia, Taiwan, Turkey, U.S.A.) under the leadership of Caroline Châtelet.

Tous les festivals ont une ligne artistique, c’est entendu. Tous les festivals, qui plus est, défendent celle-ci avec vigueur, au sein de leur programmation comme dans tous leurs éléments de communication. Pour autant, rarement un stage pour jeunes critiques se sera déroulé à l’occasion d’une manifestation à la ligne si franche et ouvertement politique. Le festival FAME – Festival Where Arts Meet Empowerment – dont la première édition s’est tenue à Bruxelles en septembre 2022 met, comme il l’annonce « en valeur les artistes femmes et issu·es des minorités de genre ». Politique, FAME l’est à double titre : créé à l’initiative de Delphine Houba, l’Échevine de la Culture de la Ville de Bruxelles et des Riches-Claires (équivalent peu ou prou en France d’une élue à la Culture de la municipalité), sa naissance relève d’une volonté de cette dernière de donner une visibilité à des œuvres des arts de la scène se saisissant de questions féministes, intersectionnelles, LGBTQIA+. Pour autant, la manifestation est portée et imaginée par une équipe totalement indépendante dans ses choix de programmation – les limites étant budgétaires – et qui invite des œuvres et artistes aux démarches toutes engagées.

Du 19 au 24 septembre, le festival a investi divers lieux culturels bruxellois en proposant des rencontres, débats, spectacles de théâtre ou de danse, performances, ateliers, concerts, expositions, projections, et même un show Drag King-Queer pour la soirée de clôture. Alors que l’usage veut que pour une telle manifestation les rencontres et autres ateliers soient proposés en « complément », toutes ces formes étaient ici revendiquées à égalité d’importance – idem d’ailleurs pour les spectacles qui allaient de formes proposées par de jeunes artistes à d’autres soutenus par des lieux plus établis. Pour échanger sur ces spectacles où l’intime avait une grande place en ce qu’il était souvent le point de départ de réflexions plus vastes, dix-huit participant.es se sont retrouvés. Le stage qui s’est déroulé en français (un peu) et en anglais (beaucoup) a permis à des personnes venues des quatre coins de l’Europe et, plus largement, du monde (France, États-Unis, Géorgie, Lituanie, Moldavie, Pologne, Québec, République Tchèque, Slovaquie, Taïwan, Turquie) d’échanger. Formellement lors des séminaires, mais aussi dans tous les moments informels ayant ponctué le stage. Cinq stagiaires nous proposent leur regard sur quatre des spectacles programmés. 


*Critique dramatique et journaliste culturelle, Caroline Châtelet collabore aujourd’hui (régulièrement ou ponctuellement) avec les revues/magazines INCISE, Frictions, Les Lettres françaises, Jeu, Novo, Regards, Théâtre(s) ; les sites internet agon, AOC, Sceneweb ; le podcast  L’Esprit critique de Mediapart et la webradio strasbourgeoise Flux 4. Elle collabore également au catalogue Images de la culture du CNC ; programme des films sur la plate-forme de films documentaires Tënk ; et participe à la pré-sélection des films pour les États généraux du film documentaire de Lussas.


Gwerz, drag hommage aux femmes tragiques

Dans un solo qui mêle vidéo amateur, extraits d’émission télé et chants bretons, le performeur Gwendal Raymond rend hommage aux femmes tragiques, grâce à l’esthétique drag. Un mille-feuilles de références ambigu, qui dénonce la machine infernale du show business.

Belinda Mathieu – critique française

Dos à nous déjà sur scène, une silhouette féminine est assise sur une chaise de trois-quarts, vêtue d’une longue robe à sequins argentée. Elle se retourne, on découvre son maquillage, entre Pierrot et esthétique du drag : du blanc étalé sur une base rouge, un visage serti de perles. Il lui confère une allure de créature non-humaine, presque une alien. Derrière le fard et les paillettes, il y a Gwendal Raymond, danseur d’origine bretonne, imprégné de danses traditionnelles, de hip-hop, du voguing et ancien étudiant aux Beaux-Arts de Brest. Avec Gwerz, solo aux multiples couches de références, il rend hommage grâce aux codes des drag shows à des femmes tragiques broyées par le succès, entre stars du show business et héroïnes des chants bretons.

Avec Gwerz, Gwendal Raymondexplore dans une sédimentation de références la question de la place des actrices. Photo : Jeanne Bidon

Tour à tour en manteau de fausse fourrure blanc tacheté, ganté de noir ou torse nu en caleçon beige, il donne corps à des voix de femmes grâce à la technique du lipsync (performance emblématique des shows drag centrée sur la synchronisation labiale avec les paroles d’une chanson). Ces voix sont celles de chanteuses – Axelle Red, Vanessa Paradis, Véronique Sanson, Lorie et Bjork – toutes reçues dans l’émission emblématique En Aparté diffusée sur Canal + et pas toujours à l’aise face aux questions intrusives de la journaliste Pascale Clark. Il continue sa performance avec un lipsync de gwerz, des mélopées bretonnes lancinantes, qui racontent ici des destins tragiques de femmes. Deux exemples qui révèlent un des enjeux du drag : magnifier les femmes et la féminité en incarnant des personnages hyperféminins, en les mythifiant par la même occasion.

Marilyn Monroe, fil conducteur de la pièce, y apparaît comme un archétype : actrice broyée par la machine à succès, sex symbol hollywoodien que la santé mentale défaillante et les addictions ont probablement poussé au suicide. Si leur voix et des archives vidéo à leur sujet sont diffusées, leurs images demeurent absentes. Peut-être pour convoquer une présence qui résiste à la réification et à la sexualisation, peut-être pour signifier leur délitement et leur disparition ? Si le suicide final ou le remake de la scène du Silencio de Mulholland Drive de David Lynch (qui dénonce la manière dont Hollywood condamne à mort ses actrices) lui confèrent une teinte funeste, Gwerz demeure empreint de tendresse, de bienveillance et d’humour. En témoigne la visite filmée du cimetière où repose Monroe, par une fan, qui déclare naïvement : « Elle est en sécurité ici ». Et si Gwerz était un refuge pour ces femmes aux destins tragiques ?


Longue vie aux roi(eine)s

Le festival FAME a pris fin entre les murs du C12, un espace pluridisciplinaire où le monde du clubbing se mêle à celui des arts de la scène. Cette Fermeture(s) a rassemblé les festivaliers et festivalières, éparpillé·es depuis une semaine dans les différents théâtres de la ville, autour d’un cabaret de Drag, pour une ultime tentative « d’ouverture[1]».

Alexie Legendre – critique québécoise

Dans une salle aux allures brutalistes, un public nombreux s’est entassé entre les colonnes de béton pour apercevoir la dizaine de Drag Queens et Drag Kings rassemblée par le festival pour présenter à tour de rôle un numéro de leur cru. Ce qui liait les différentes performances entre elles relève des codes du Drag : des aptitudes de lypsinc impressionnantes (pratique courante de ces spectacles qui consiste à bouger les lèvres aux mêmes rythmes que la chanson originale) ; des costumes flamboyants soumis à un effeuillage graduel, révélant ainsi de manière spectaculaire des éléments cachés ou des parcelles de nudité ; ainsi que des mouvements et gestes tendant à déconstruire le genre, à le rendre pluriforme.

Pendant près de trois heures, ce cabaret a vu se succéder les artistes et les déconstructions des normes de genre. Photo : Samy Soussi

C’est d’ailleurs ce travail de métamorphose du genre et de ses normes rigides qui a ébloui la scène ce soir-là, notamment celui entrepris par les Drag Kings Zack et Ernesto Coyotte. Tous deux se sont distingués par leur capacité à se mouvoir avec grâce et habileté dans l’espace. Habillés sobrement avec des éléments qui renvoyaient à un cliché de la masculinité, comme une veste en jean, un bonnet de laine, des bottes de cuir, un marcel ou une montre en or, ils ont charmé avec élégance l’audience par une chorégraphie entraînante, aux prouesses physiques impressionnantes où l’élégance et la sensualité se fondaient dans une succession de gestes plus brusques, dominants et rigides. Lorsque Zack, pour ne citer que ce moment, est passé d’un personnage de rappeur à une bête de scène au genre éclaté, les frissons ont été immédiats : d’une tête rentrée dans les épaules, les mains repliées devant soi, le bassin penché vers l’avant, le performeur a enlevé son couvre-chef dans un geste dramatique, révélant une longue chevelure blonde et une traînée de paillettes. À ce « reveal » a succédé un changement dans sa manière de se déhancher, rendue alors beaucoup plus langoureuse, impliquant des rotations des hanches et une souplesse nouvelle.

Dans ces numéros, ce sont les glissements qui créaient le drame, le flamboyant. La magie se trouvait aux frontières des gestes et des apparences. Bien que la qualité des numéros était inégale et le spectacle un peu trop long (3 h), Fermeture(s) a conclu avec panache le festival, ouvrant la porte à de nouvelles manières d’être dans la performance.


Sexual Pleasure on Our Own Terms

One of the key missions of FAME was to present performances made by women and gender minorities, meaning it was equally important what the productions were about as who created them. The female point of view played an especially vital part in Camille Husson’s one-woman show Sexplay.

Iva Heribanová—Czech critic

Barefoot, dressed only in a plain white T-shirt and blue jeans, performing on an almost empty stage, Camille Husson tells the story of her journey towards sexual liberation. She does so through short episodes of discovery in the realm of intimate pleasure, in no particular order, based on either her memory or fantasy, most often probably a mixture of both. First encounter with conventional porn-magazines, imaginative exploration of masturbation, first sex with a boy, visit to a Berlin sex club and more are all recalled with equal importance and in a mesmerizing flow. Each change in the setting of the situations and the emotions connected to them are instantly conveyed not only through Husson’s lively acting and accompanying sound design but also thanks to the lighting, which performs as a partner to the actress. Indeed, the scenography consists solely of three sources of light: two bulbs hanging on opposite sides of the stage and, back centre, a scenographic object consisting of several fluorescent tubes that create a rectangle with an X inside.

Alone on stage, where her personal story becomes, for Camille Husson, the discovery of her body and desires. Photo: Bartolomeo La Punzina

While watching Sexplay, one can either try to untangle the episodic fragments into a chronological narrative or think of them more as free association on the topic of overcoming the male gaze in seeking sexual pleasure. The images of passive women in the porn magazines, stylized to please heterosexual men, contrast with Husson’s urge for agency in her sex life. Dozens of metaphorical expressions for female genitalia (“hedgehog,” “box of champagne”) are brainstormed, until Husson chooses to call her vulva “panther,” a significantly active association. She makes a list of paraphilias starting with each letter of the alphabet (formed from the fluorescent tubes behind), which subvert the importance of genital stimulation. In one of her fantasies, she ventures into an alternative sexshop and discovers the power of the mint crystals that her grandmother kept by her bed for years.

Yet, the empowering message of the piece is perhaps best embodied in a scene quite early in the performance, in which Husson transports us to a Berlin sex club by simply taking off her T-shirt. Suddenly, the actress dances in front of the audience half-naked, a fluorescent pattern depicted on her bare chest and back. The gesture is clear: her nude body and sexuality are hers to unveil, and she does so on her own terms.


Time and Space Changeability in the Modern Life

Sofia Nadibaidze—Georgian critic

The choreographic performance Deep Time, directed by the Swedish-Finnish choreographer Virpi Pahkinen, illustrates and explores modern life—as time and space. In this performance, the dancers (including Virpi Pahkinen herself) represent the essence of humanity in the world. The team explores the labyrinth of the human soul and brings it to life in an authentic way.

Either human or animal figures, the characters evolve in a harmonious universe. Photo: José Figueroa

The musical concept is essential: mystical and ritual music—a singer on stage performs the sacred songs of Hildegard of Bingen—alternates with modern and electronic sounds allowing the choreography to develop in various forms. The dancers merge with each other in multiple ways: the show moves from collective to individual dance sequences, from one stage movement to another, synchronously and sometimes even chaotically, leading them to transform into zoomorphic figures. The staging, through the creation of a specific scenic lighting, forms various dramatic structures that gradually create certain stories. The work creates a mystical and sacred atmosphere through music, lighting, colorful and stylized stage costumes, and choreography. The movements and gestures of the body, expressing themselves clearly, create a lively and vibrant atmosphere. 


How to Know What’s Happening and Still Stay Naive

The first edition of Brussels-based festival FAME had a fruitful purpose: to enable marginalized artists talk about their interests. It was great though not unexpected to see that their souls cry for the same reasons as souls of established artists. KillJoy Quiz is one of the best examples.

Aušra Kaminskaitė—Lithuanian critic

Even though my favourite show in FAME was Gwerz by French artist Gwendal Raymond, I strongly feel I must review another, which contains qualities I find representative for the whole festival. Produced by the well-known theatre NTGent, KillJoy Quiz was created by Luanda Casella, also taking the role of a show host. She gathered a team of non-white female performers and created a TV-game-like show where two participants fought with their knowledge to gain a winner’s glory. Five rounds of the game are followed by short and wonderfully ironic musical interludes, performed by three musicians.

Borrowing the codes of a TV quiz, KillJoy Quiz (interpreted by Yolanda Mpelé. Lindah Nyirenda and Luanda Casella, and by singers Maïmouna Rachels, Timia Van der Linden, Helena Casella) skewer oppressions with humor. Photo: Michiel Devijver

In each round, the well-read participants must answer questions or complete tasks, which comically reflect various disasters made by human beings. Those include colonialism, racism, misoginy, climate change, emigration, hate and so on. Unlike the musicians, three actresses occasionally failed to show an ironic attitude towards human behaviour. Sometimes, the characters seemed too shallow due to annoying pauses and illogical jumps from one emotion to another. This may suit the atmosphere of a television show, unless the difference between an artist’s position and their character’s position is not articulated well enough. In KillJoy Quiz, this difference, which is supposed to create an irony, isn’t made clear, since the artists keep randomly jumping between their character’s attitude and their own.

The show’s creators have chosen a perfect form for exposing the high level of damage caused by human existence. In the quiz, a harm is shown as a well known fact and as part of human culture. It makes sense, since that’s how we live—knowing what’s happening around us, knowing the consequences of our behaviour but mostly choosing to let the elephant stay in the room. In a way, the creators of KillJoy Quiz did the same. I was mad that they ignored Russia’s war on Ukraine, even if they mentioned Putin’s name in one of the rounds. One character was asked to match the quotes to their authors. And while the chosen words by Idi Amin or Silvio Berlusconi reflected a disrespect for human rights or a disregard for public and private interests, Putin’s quote was: “My English is very bad.” For a Lithuanian, who knows how horribly Putin’s army has been killing and torturing people in Ukraine right now, such silence feels disrespectful, though I understand that such ignorance can blossom in a significant part of francophone countries. Theatre is just a mirror of society, isn’t it? KillJoy Quiz showered me with problems and made me angry seeing how equally (not) important they are. At the same time, without any aggression, it let me feel how different people perceive the same world, in which we cannot be equally concerned about everything.


Endnote

[1] « Ouverture » étant le thème de la première édition du festival.

Copyright © 2022 Caroline Châtelet
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN:2409-7411

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