Antonin Artaud : Écrits sur le théâtre
Éd., Monique Borie
128 pp., Besançon : Les Solitaires intempestifs
par Selim Lander*
Il importe avant tout d’admettre que comme la peste,
le jeu théâtral soit un délire et qu’il soit communicatif.
Si Antonin Artaud (1896-1948) est un théoricien incontournable du théâtre, tout le monde n’est pas prêt à se lancer dans l’exploration de ses Œuvres complètes, soit 26 tomes/28 volumes publiés chez Gallimard entre 1956 et 1994. La sélection proposée par le même éditeur dans la collection « Quarto » (Œuvres, 2004), bien que plus accessible, compte néanmoins 1792 pages. L’initiative des Solitaires intempestifs – ramasser l’essentiel des écrits d’Artaud dans un bref ouvrage – est donc bienvenue.
Monique Borie a puisé dans sept volumes des Œuvres complètes, dont l’incontournable tome IV, lequel reprend le contenu d’un premier recueil, Le Théâtre et son double, publié dès 1936 du vivant d’Artaud. Sont présentés également des extraits de lettres à Jean Paulhan non reprises dans Le Théâtre et son double, des commentaires sur des pièces auxquelles Artaud a assisté ou qu’il a lui-même mises en scène (dont Les Cenci, pièce dont Artaud était également l’auteur, avec des décors de Balthus), des textes nés de son séjour au Mexique, etc.
Pour faire comprendre ce qu’il entendait par « théâtre de la cruauté », Artaud a tissé la métaphore de la peste : « Si le théâtre essentiel est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit ». Dit autrement, la cruauté est « cette douleur hors la nécessité de laquelle la vie ne saurait s’exercer. Le bien est voulu […], le mal est permanent ».
Pour Artaud, le théâtre étant un spectacle vivant, le metteur en scène y tient le premier rôle, avant l’auteur[1]. La mise en scène est pour lui « un langage dans l’espace en mouvement », sachant que « de ce langage immédiat et physique le metteur en scène dispose seul ». Pour que se développe « l’énergie poétique » recherchée, il faut un lieu spécialement adapté : « Le public sera assis au milieu d’une salle close de quatre murs, sur des chaises mobiles qui lui permettront de suivre le spectacle qui se passera tout autour de lui ». « Des galeries courront sur tout le pourtour de la salle, [qui] permettront aux acteurs […] de se poursuivre d’un point à l’autre, et à l’action de se déployer à tous les étages et dans tous les sens de la perspective en hauteur et en profondeur ».
Plutôt que de « comédiens », Artaud préfère parler d’« acteurs ». Il introduit à leur propos la métaphore de l’athlète ou du lutteur. Les acteurs sont des « athlètes du cœur ». « Là où l’athlète s’appuie pour courir, c’est là que l’acteur s’appuie pour lancer une imprécation spasmodique, mais dont la course est rejetée vers l’intérieur ». Ou encore : « Là où chez l’acteur le corps est appuyé par le souffle, chez le lutteur, chez l’athlète physique, c’est le souffle qui s’appuie sur le corps. »
Concernant la représentation proprement dite de la cruauté, Artaud a dû se défendre de vouloir faire des spectacles sanguinolents : « ‘Cruauté’, quand j’ai prononcé ce mot, a tout de suite voulu dire ‘sang’ pour tout le monde […] Il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement. » Il écrivait pourtant dans le même texte (En finir avec les chefs d’œuvre, 1933) : « Je propose donc un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur pris dans le théâtre comme dans un tourbillon de forces supérieures ».
Ajoutons pour finir que si Artaud entendait rompre radicalement avec les pratiques de son temps, c’était pour « retrouver l’acception religieuse et mystique dont [le] théâtre a complètement perdu le sens ». Il voulait ainsi redonner au théâtre la dimension de mystère qu’il avait trouvée dans le théâtre balinais. Ne comparaît-il pas par ailleurs le théâtre à une « alchimie » ?
Note de fin
[1] Artaud contestait que le théâtre antique fût essentiellement un théâtre parlé.
*Selim Lander vit en Martinique (Antilles françaises). Ses critiques paraissent dans la revue électronique mondesfrancophones.com et dans la revue Esprit.
Copyright © 2022 Selim Lander
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN:2409-7411
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