Note éditoriale

La tragédie de notre vie et notre refus d’apprendre

Savas Patsalidis*

Si le 24e numéro de Critical Stages/Scènes critiques avait vu le jour en pleine pandémie mondiale, le 25 est lancé au milieu d’une nouvelle tragédie, une guerre qui fait rage, sans fin en vue. Les ambitions mégalomanes de Poutine montrent que les êtres humains, en particulier ceux qui sont au pouvoir, refusent d’apprendre des revers tragiques de la vie passée pour vivre avec davantage d’objectifs, moins d’arrogance, et moins de violence et de chimères impérialistes. Comme C.S. Lewis et d’autres érudits et philosophes l’affirment : « De tous les événements humains, c’est la tragédie seule qui pousse les gens à sortir de leurs propres désirs mesquins et à prendre conscience de la souffrance des autres humains. La tragédie se produit dans les vies humaines afin que nous apprenions à tendre la main et à réconforter les autres. » Cependant, Brands et Edel écrivent dans leur livre The Lessons of Tragedy: Statecraft and World Order (2019) que, contrairement aux anciens Grecs qui ont intégré une sensibilité tragique dans leur culture afin d’éviter le destin en renforçant un sens commun de la responsabilité, de l’éthique et du courage, le monde contemporain a perdu son sens de la tragédie et toute appréciation de la nature tragique du monde.

Aussi douloureux qu’il soit à contempler, le récent massacre perpétré par les Russes contre le peuple ukrainien montre que les tragédies n’ont jamais rendu personne plus sage, car si elles l’avaient fait, comment aurions-nous pu oublier ce que l’histoire nous a appris : une descente dans la violence et la guerre n’est pas une réponse aux problèmes, mais encourage plutôt une escalade des problèmes. Ce dont nous avons besoin, affirment Brands et Edel, et à juste titre, c’est de trouver des moyens de cultiver « notre sensibilité tragique » afin d’éviter de commettre encore et encore la même hamartia, le même hubris. Les actions mégalomanes, imprudentes et insultantes de Poutine envers un pays indépendant trahissent tous les signes du syndrome de l’orgueil qui, selon ce que dit l’érudition ancienne, entraînerait tôt ou tard la némésis, la justice implacable qui vise l’équilibre et l’harmonie de la vie humaine.

Travaillant contre toute attente, Critical Stages/Scènes critiques continue de fournir aux écrivains et aux artistes une plate-forme pour engager une discussion dynamique sur des thèmes qui émergent ou réémergent dans les arts du spectacle vivant, au-delà des frontières nationales et disciplinaires. De manière significative, 35 femmes et 33 hommes de 31 pays nous ont confié 51 articles de qualité, des contributions importantes à la recherche internationale sur le théâtre et les arts du spectacle.

Le dossier du numéro 25, « Interface entre humains et technologies dans la représentation », préparé avec soin, connaissance et professionnalisme par Sebastian X Samur, contient neuf excellents textes qui réfléchissent sur les nouvelles formes de performance intermédiale en train d’émerger, sur les stratégies qui se sont avérées efficaces pour prolonger l’interprète par la technologie, sur la façon dont le travail des praticiens peut faire le lien entre les pratiques des interprètes et des concepteurs de technologie et sur la façon dont les artistes s’inspirent des interprètes pour anthropomorphiser la technologie. L’article de fond de Dan Strutt examine les formes émergentes de performances interactives, immersives et virtuelles. Jessica Del Vecchio et Eamonn Farrell explorent le travail de ce dernier, vidéaste, et de sa société Anonymous Ensemble, Brendan McCauley montre de nouvelles voies aux artistes pour construire et utiliser l’espace relationnel à travers la vidéo stéréoscopique, Maya Arad Yasur analyse la hiérarchie intermédiale des modes d’incarnation, du direct aux corps virtuels, Jörgen Dahlqvist s’appuie sur deux productions théâtrales télématiques pour mieux comprendre les possibilités du médium numérique ainsi que les défis artistiques qu’il apporte, tandis qu’Antje Budde et Gustavo Sol enquêtent sur le potentiel de soutien des formes psychophysiques et ludiques de la santé mentale pour leurs étudiants universitaires par l’utilisation d’interfaces performatives interactives d’autoapprentissage inspirées de la dialectique théâtrale brechtienne de l’apprentissage. Dans leur travail, Amy Chan et Natalie Cheung soutiennent que la repensée et la réimagination de la lumière à travers des perspectives à la fois technologiques et théoriques peuvent révéler de nouvelles dramaturgies de la lumière et du spectateur dans le théâtre contemporain. Enfin, le seul article en français, celui de Thomas Langlois et Robert Faguy, interroge concrètement l’identification du spectateur vis-à-vis de la « performativité des systèmes technologiques… et du …transfert performatif ».

Hors dossier, le lecteur de ce numéro trouvera huit autres articles dans la SECTION ESSAI (resp. Yana Meerzon), allant d’une adaptation dansée de Titus Andronikus au spectacle sportif de Jelinek et aux paysages œdipiens de Papakonstantinou. La section RAPPORTS NATIONAUX (resp. Savas Patsalidis) nous offre un panorama des enjeux écologiques venus d’Australie, de Lettonie, de kazakhe, et d’Irak, ainsi que un essai sur la vie théâtrale contemporaine roumaine.

Dans le présent numéro, nous offrons des entretiens avec d’importants artistes du théâtre du Japon, du Brésil, de Lettonie, de Turquie et de Mongolie (resp. Savas Patsalidis), des comptes rendus de spectacles et d’ouvrages parus, dirigés respectivement par Matti Linnavuori et Don Rubin, un article important et éclairant sur la critique, par l’Italien Andrea Porcheddum et un article par Johannes Birringer  et une section supplémentaire qui se concentre sur la guerre en Ukraine.

Aux responsables de ces rubriques, je dois ma plus profonde gratitude, autant que je dois mes vifs remerciements aux auteurs eux-mêmes qui nous ont confié leur travail. Je tiens également à remercier tout particulièrement les deux codirecteurs de la revue, Don Rubin et Jeffrey Eric Jenkins, dont l’aide a toujours été si généreuse. Enfin, mes remerciements vont à Ian Herbert et à tous les réviseurs externes qui, chaque fois qu’on leur demande, fournissent d’excellents commentaires sur les articles qui bénéficient de leur lecture expérimentée.

Cela dit, je voudrais encourager les personnes intéressées à voir leurs articles, comptes rendus de spectacles et/ou de livres, entretiens, études de cas et recherches empiriques considérés pour publication à contacter le responsable de la section concernée (voir : https://www.critical -stages.org/submission-guidelines/).

Une fois qu’un manuscrit a été examiné par des pairs et recommandé pour publication, il subit une nouvelle révision linguistique, une mise en forme et une validation des références, conformément aux dernières directives de la feuille de style MLA, afin de fournir la meilleure qualité de publication possible.

Les textes soumis ne doivent pas avoir été publiés auparavant ni être envisagés pour publication ailleurs pendant leur évaluation pour cette revue. Ils doivent également adhérer au style et à l’éthique de la revue (pour en savoir plus sur l’éthique/la procédure de publication de la revue, consulter : https://www.critical-stages.org/submission-guidelines/)

Pour toute autre question sur la revue, ou si je peux vous aider, n’hésitez pas à me contacter (spats@enl.auth.gr).

NOTE : Le dossier de notre numéro d’hiver (n°26) est THÉÂTRE ET ÉCOLOGIE. Responsables invitées : les professeures Elizabeth Sakellaridou et Vicky Angelaki. Date de parution : fin décembre 2022. Merci de transmettre le lien à toute personne susceptible d’être intéressée. Merci.

Nos portes sont ouvertes à tous.
Rejoignez-nous alors que nous continuons à produire de nouvelles idées pour les arts du théâtre en constante évolution à travers le monde. 


*Savas Patsalidis est professeur de théâtre, et d’histoire et de théorie du spectacle à l’École d’anglais (Université Aristote de Thessalonique), à l’Université ouverte hellénique et à l’Académie théâtrale du Théâtre national de Grèce du Nord. Il est aussi régulièrement Chargé d’enseignement au Programme d’études supérieur de l’Université Aristote. Auteur de quatorze ouvrages sur le théâtre, la critique et la théorie du spectacle, il en a co-écrit treize autres. Son livre en deux volumes Theatre, Society, Nation (2010) a reçu le prix de meilleure recherche de l’année. Son dernier ouvrage, Theatre & Theory II: About Topoi, Utopias and Heterotopias, a paru en 2019 chez University Studio Press. Outre ses activités académiques, il œuvre à titre de critique de théâtre pour les revues en ligne  parallaxi et thegreekplay project. Actuellement, il préside l’Association hellénique des critiques de théâtre et des arts du spectacle, est membre de l’équipe de sélection du Festival Forest et est rédacteur en chef de Critical Stages/Scènes critiques, la revue Web de l’Association internationale des critiques de théâtre.