Une dénonciation astucieuse de l’islam radical
Selim Lander*
J’ai rencontré Dieu sur Facebook. Texte et mise en scène Ahmed Madani. Création sonore Christophe Séchet. Lumière Damien Klein. Costumes Pascale Barré. Avec Mounira Barbouch (la mère), Louise Legendre (Nina), Valentin Madani (Amar).
En ce mois de janvier 2021, la Martinique, petit territoire français d’outre-mer, était l’un des rares endroits au monde où l’on pouvait aller au théâtre (masqué et en gardant ses distances). On a pu y voir une pièce dont nul ne démentira l’actualité.
La radicalisation des jeunes filles draguées sur Internet a déjà fait l’objet d’un film remarqué en son temps, Le Ciel attendra, de Marie-Castille Mention-Schaar (2015). Il montrait comment deux jeunes lycéennes de « bonnes familles », ou en tout cas de familles « normales », étaient séduites par des jeunes hommes qui leur faisaient miroiter le paradis d’Allah. Ahmed Madani imagine l’histoire d’une adolescente, Nina (Louise Legendre), élevée par sa mère (Mounira Barbouch) d’origine algérienne, professeure de collège dans une ville de la banlieue parisienne. Les rapports entre elles sont chaleureux, complices, jusqu’au moment où Nina se tourne vers une pratique rigoureuse de l’islam. Rien d’original, donc, à lire ce résumé. Seul suspense : Nina ira-t-elle au bout de sa démarche, embarquera-t-elle vraiment pour la Syrie, ou faudra-t-il que « le Ciel attende » encore un peu, comme dans le film ?
Mais Madani a plus d’un tour dans son sac. Les théâtreux se souviennent sans doute de sa pièce F(l)ammes (2016), montrée comme J’ai rencontré Dieu… en Avignon.[1] Une pièce ? Pas une vraie pièce, une simple suite de témoignages : dix jeunes femmes de toutes origines et de toutes conditions se racontaient, racontaient aussi d’autres histoires et l’on sortait revigoré de ce spectacle très politique, fort bien construit, qui remettait en cause bien des idées reçues.
J’ai rencontré Dieu… est également astucieusement construite. C’est même un modèle à faire méditer par les apprentis auteurs. La pièce se concentre d’abord sur le couple mère-fille. La maman vient de faire un bref voyage en Algérie pour enterrer sa mère. C’est l’occasion de nous enseigner avec ce qu’il faut de distance et d’humour le fonctionnement d’une société encore gouvernée par les traditions ancestrales. En même temps, certains signes nous indiquent que Nina ne dit pas tout à sa maman et le livre qu’elle prend soin de dissimuler a toutes les apparences d’un Coran.
On peut montrer beaucoup avec peu. Comme décor, un grand mur blanc en fond de scène. Deux accessoires, une table munie d’un tiroir ouvrant du côté opposé au public, d’où sortiront, quand ce sera nécessaire, le livre déjà signalé, des copies que la maman doit corriger, un cahier de notes. Les autres accessoires demeureront imaginaires : ainsi est-il tout à fait possible de convaincre les spectateurs qu’un gâteau est confectionné avec quelques gestes et un bruitage approprié.
Amar (Valentin Madani), le séducteur (dont le visage en très gros plan est projeté sur l’écran au fond de la scène), tient la vedette dans la deuxième partie de la pièce. Ses échanges avec Nina, la tête plongée dans son ordinateur, pourraient être effrayants puisque l’enjeu est bien d’attirer une innocente jeune fille dans les filets de l’islam le plus violent. Cependant un je-ne-sais-quoi dans l’attitude du djihadiste, son bagout, rendent ces scènes plus légères que ce qu’elles sont censées signifier. Le spectateur l’ignore, mais l’auteur est en train de la préparer au coup de théâtre final où l’on verra réapparaître la mère dans un rôle auquel on ne l’attendait pas. La leçon de la pièce sera tirée par Amar présent en chair et en os sur le plateau, un Amar transformé, car redevenu celui qu’il est réellement.
Le charme de cette pièce tient aussi à son côté « vieux théâtre ». Deux personnages sur le plateau (sauf tout à fait à la fin), des scènes qui s’enchaînent rapidement, aucun artifice, l’usage de la vidéo étant ici indispensable pour montrer le dialogue sur Internet entre Nina et Amar. Les comédiens ont le physique de leur rôle, y compris Louise Legendre, certes une jeune comédienne (promotion 2019 du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris), mais qui a vraiment ici l’apparence d’une adolescente. Si leur jeu a pu sembler manquer un peu parfois de naturel, on n’oubliera pas que ces trois comédiens ont été privés de tout contact avec le public depuis bientôt une année et qu’ils n’étaient en Martinique que pour deux représentations.
[1] Cf. mon article dans Madinin’Art critiques culturelles de Martinique (20 février 2017)
*Selim Lander vit en Martinique (Antilles françaises). Ses critiques paraissent dans la revue électronique mondesfrancophones.com et dans la revue Esprit.
Copyright © 2021 Selim Lander
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411
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