Maria Helena Serôdio
Avril est le mois le plus cruel, car les lilas
Poussent sur la terre morte,
Mélangeant mémoire et désir
T.S. Eliot, La Terre vaine (« L’enterrement des morts »)
Il existe d’autres moyens d’aborder le théâtre, notamment en réfléchissant sur l’exercice de la critique comme le font Yun-Cheol Kim, Don Rubin, Temple Hauptfleisch et Mark Brown dans la section consacrée aux « critiques sur la critique », nous rappelant ainsi les exposés que les deux premiers ont livrés à un colloque qui s’est déroulé en janvier à Vallabh Vidyanagar (Inde), où ce sujet a été discuté.
On peut identifier trois autres perspectives critiques dans nos approches du théâtre. La première consiste à rendre compte de spectacles courants et d’ouvrages récemment parus. À cet égard, nous sommes fiers de publier des comptes rendus de spectacles venant entre autres du Canada, de Finlande, d’Iran, d’Afrique du Sud, de France, de Lettonie, de Roumanie, d’Israël et d’Allemagne. Et au nombre des chroniqueurs, nous sommes heureux de compter l’ancien président de l’AICT, Georges Banu, qui publie deux articles importants, ainsi qu’une « leçon » sur l’analyse de la représentation que Patrice Pavis utilise pour traiter d’un spectacle de danse.
La deuxième perspective se fonde sur la recherche théâtrale en matière d’identité artistique (qu’il s’agisse du théâtre créole, de la condition des immigrants dans le théâtre portugais ou de l’œuvre de Purcărete) ou appliquée à des souvenirs douloureux dans des représentations.
En troisième lieu, nous nous attachons à des legs : celui du théâtre de Jean Genet (ranimé dans un festival en Corée pour commémorer le centenaire de sa naissance, en mars et avril de cette année) et celui du metteur en scène brésilien Augusto Boal. Dans ce dernier cas, nous sommes fiers de publier une série d’articles de chercheurs et d’artistes brésiliens ayant étudié et travaillé avec Boal, illustrés de photos témoignant de la richesse des nouvelles « Archives Augusto Boal » à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UNIRIO).
Au moment d’accorder le prix Thalie à Richard Schechner, lors de notre prochain congrès à Erevan (Arménie), en juin 2010, nous revenons au critique et essayiste Jean-Pierre Sarrazac, qui a reçu ce prix à Sofia il y a deux ans, « pour avoir influencé la réflexion critique sur l’art du théâtre ». Le discours qu’il a livré à Sofia, ainsi que le « questionnaire » que Randy Gener utilise pour mieux faire connaître sa pensée à nos lecteurs, constituent une autre section de ce numéro de Scènes critiques/Critical Stages. Dans les photos qui les illustrent, on peut voir l’emblème de ce prix, conçu spécialement par le grand scénographe et sculpteur roumain Dragos Buhagiar : une canne à pommeau d’argent représentant Thalie, la muse grecque de la comédie.
Je tiens à adresser mes remerciements les plus sincères à tous ceux qui ont collaboré généreusement à ce numéro, partageant ainsi avec nous leurs connaissances et leur enthousiasme. Cela s’adresse aussi à tous les membres de notre comité éditorial qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour que le numéro soit prêt à temps. C’est cependant pour moi une joie immense de voir réunies toutes ces énergies et de constater qu’il est encore possible – peu importe nos différences de pensée, de sensibilité, de style d’écriture – d’atteindre une voix collective en tant que critiques de théâtre.
Je dois un dernier mot de reconnaissance à Yu Jin Kim pour son assistance éditoriale, à Myoung-Jae « Andrew » Yim pour la conception Web et au président de l’AICT Yun-Cheol Kim, qui a fait naître cette revue et s’est fié à moi pour la concrétiser.
Je pourrais peut-être revenir sur l’épigraphe de Eliot qui paraît au début, en soulignant la singulière métaphore des « lilas » pour les « parties » qui constituent ce numéro (quoique pas sur de « la terre morte », mais au contraire, sur un théâtre vivant…), mais aussi pour ce « mélange de mémoire et de désir » qui m’apparaît comme une des sources principales de notre travail de critiques de théâtre.