Mariza Galani*

Résumé : Les Grenouilles d’Aristophane est une pièce qui a inspiré plusieurs metteurs  en scène en Grèce, comme  Koun,  Philippoglou  dont le travail suit les didascalies internes de la pièce.
Nous, influencée par ces représentations et par l’évolution du théâtre de marionnettes dans notre pays, nous proposons un spectacle, une mise en scène des Grenouilles d’Aristophane, qui va respecter l’héritage culturel du théâtre antique et en même temps sera adaptée aux évolutions technologiques de notre société.
Notre but c’est la collaboration entre les arts et la nouvelle technologie en créant un univers fascinant et agréable adapté aux exigences de la société.

Μots-clés : Aristophane, Oriza Hirata, Dionysos, Les Grenouilles

En Grèce, le théâtre de marionnettes occupe une place importante depuis l’Antiquité. Selon le marionnettiste Markopoulos,[1] l’art de ce genre continue à se développer, aide les enfants à pénétrer dans un monde onirique, en leur apprenant à affronter tous les problèmes, à travers la présence de poupées, lesquelles constituent l’objet le plus amical de leur vie.

Une marionnette créée par une élève grecque

Plusieurs associations qui s’occupent du théâtre de marionnettes, comme la troupe grecque « Redicollon »,[2] préfèrent créer des spectacles prenant appui sur les contes qui ont un rôle didactique et dont la finalité est d’éloigner les peurs qui menacent le monde psychique des enfants.

La troupe de théâtre grecque « Redicollo » a présenté la pièce Pinocchio, un garçon différent, le 16 Novembre 2016 au théâtre Amalie à Thessalonique
La troupe de théâtre grecque « Redicollo » a présenté la pièce Robin des fôrets, le 10 octobre 2015 au théâtre Eno à Thessalonique

Une autre troupe de théâtre de marionnettes, « Κοu-klo théâtre de Crète », a présenté une pièce pour les enfants, La Paix d’Aristophane. Mon travail de recherche, puis de formation dans une école privée d’Athènes consacrée au théâtre de marionnettes m’ont convaincue que ce type de théâtre concernait en fait tous les publics. Grâce aux marionnettes, nous retrouvons l’univers de l’enfance avec ses rires et sa féerie.

La Paix d’Aristophane

Poursuivant mon travail de recherche, j’ai fini par être confrontée à la relation entre le théâtre de marionnettes et les technologies nouvelles. N’est-ce pas là l’occasion pour ce théâtre de se réinventer ?

Frank Bauchard, partisan de nouvelles technologies dans la mise en scène,  soutient que

notre principe est de les dissoudre dans le spectacle, de les effacer au profit du plateau. Le temps du théâtre est du temps réel. Le temps de l’image est tout autre. Or nous cherchons à amener le temps de la vidéo au temps du théâtre […]. C’est en ce sens qu’il faut […] considérer la vidéo comme un outil complémentaire de tous les autres dont les effets puissent s’intégrer à l’ensemble du spectacle. Cette valeur ajoutée peut être de deux natures : valeur ajoutée en terme de création d’espace, d’ouverture de l’espace théâtre, ou bien en terme de point de vue offert au spectateur et de création d’une nouvelle relation avec celui-ci.[2]

Cette innovation, la participation de la vidéo sur la scène, séduit le public, car elle réunit deux arts, le traditionnel et l’artificiel. Il s’agit d’une collaboration entre des objets théâtraux originaux et des effets techniques. Les acteurs ont la possibilité de se mettre en face d’un écran et s’adresser à un robot, comme l’a fait Oriza Hirata, qui a créé une de ses mises en scène à partir de l’idée du dramaturge tchèque, Karel Capek qui, dans sa pièce écrite en 1920, R.U.R (Rossum Universal Robot), fait apparaître – c’est une révolution – des robots qui finissent par se révolter. Oriza Hirata, dans Moi, travailleur, créé en 2008, met en scène deux robots.

Hataraku Watashi (Moi, travailleur) de et mis en scène par Oriza Hirata. Osaka University et Eager Co. Ltd. La pièce, Moi, travailleur, a été jouée le 25 Novembre 2008 à l’université d’Osaka

Dans Le Plieur d’avions présenté au théâtre de la Dame de cœur à Upton, on peut voir deux marionnettes géantes téléguidées à distance.

Le plieur d’avions, Théâtre de la Dame de cœur, un spectacle présenté à Upton les étés 2014 et 2015

Avec la recherche d’un nouveau mode de relation avec le public, il n’est pas illégitime de parler de théâtre populaire, et à cet égard l’esthétique du théâtre est proche de celle du cinéma.

Un essai de mise en scène des Grenouilles d’Aristophane

Influencés par les représentations de pièces prenant appui sur la technologie, nous  proposons une représentation des Grenouilles d’Aristophane, au cours de laquelle arts (musique, chant) et nouvelles technologies (vidéo) se mêlent et où des acteurs adultes, cachés derrière de grandes marionnettes côtoient des robots.

À cet égard, la scène de l’esclave Xanthias et de son maître Dionysos qui descendent aux Enfers est intéressante et plaisante tout à la fois, elle permet de faire usage de technologies nouvelles. Xanthias et Dionysos rencontrent la mort, avec deux chœurs les accompagnent.

Charon
Qui veut aller aux stations loin des malheurs et des ennuis ? […]
Dionysos
Moi.
Charon
Embarque vite.
Dionysos
Où  penses-tu aborder ?
Charon
Aux corbeaux! […]
Charon à Dionysos
Assieds-toi à une rame. […]
Εst-ce que tu vas enfin aller t’asseoir ici, la bedaine  ! […]
Dionysos
Voilà ! […]
Pas de problème: Tu entendras des chants merveilleux dès que tu t’y mettras.
Dionysos
Chantés par qui ?
Charon
Ceux, féeriques, des grenouilles-cygnes.
Dionysos
Bon, donne le signal !
Charon
Oh…ho pop! Oh…ho pop !
(Aristophane, Les Grenouilles, vers 185-208)[3]

Il s’agit bien de créer une mise en scène qui respecte l’héritage culturel du théâtre antique, mais qui, dans le même temps, s’adapte aux évolutions technologiques de notre temps, en laissant libre cours à notre imagination.

Dans une salle obscure, les spectateurs écoutent Orestus Chorus song d’Armand d’Angour, un musicien qui a consacré beaucoup d’années à étudier les instruments sur les amphores et récrée la musique antique en utilisant la launeddas, à la place de l’aulos.[4] L’ambiance devient douce grâce à cette musique, l’écran s’ouvre à nos yeux – nous sommes au cinéma – et apparaît Dionysos interprété par un acteur. L’écran s’éteint, la musique ancienne s’arrête, et les spectateurs écoutent des syllabes monotones qui viennent de la scène. Les lumières s’allument et vingt-quatre petits robots, (le numéro des choreutes de la comédie), qui représentent les grenouilles, courent sur la scène, en criant les syllabes du chœur des grenouilles « brékékékéx koax koax !» pendant quelques minutes. Ils  commencent à tomber les uns après les autres – les batteries des robots durent seulement vingt minutes –, la lumière s’éteint pour que quelqu’un vienne les ramasser, et soudain nous entendons Les Chariots de feu de Vangelis Papathanasiou, et Dionysos, le même acteur qui était à l’écran, fait son apparition devant le public, comme un deus ex machina en volant, à l’aide de la mèchanè.[5]

Les spectateurs voient Dionysos, et deux marionnettes géantes qui représentent Eschyle et Euripide, alors qu’une balance , « la balance des idées et de l’inspiration », est posée au milieu de la scène.  Dionysos mène les deux poètes devant la balance :

Dionysos
Eh bien, venez ici, puisqu’il me faut en arriver là : négocier l’art des poètes comme du fromage ! […]
Εschyle et Euripide
Voilà
Dionysos
… tenez-les en disant chacun une phrase, mais ne les lâchez pas avant que je vous ai dit «coucou».
Eschyle et Euripide
Prêts
Dionysos
Allez ! dites votre vers sur la balance.
(vers 1365-1383)

Les deux marionnettes qui représentent Eschyle et Euripide ont écrit leurs idées sur des cubes qui symbolisent la vie, et ils les lancent sur la balance en faisant des gestes comiques pour provoquer le rire au public.

En proposant cette mise en scène, dont nous n’esquissons que quelques traits,   nous ne changeons pas le sens de l’œuvre : nous essayons seulement de respecter le but de la pièce ancienne tout en utilisant la technologie pour créer un univers fascinant et agréable.

Les deux arts, le théâtre et le cinéma, se rencontrent et communiquent ensemble alors que les trois périodes du temps, le passé, le présent et le futur, se succèdent et attestent de l’immortalité des arts.

Peace, Art Theatre 1977, metteur en scène Karolos Koun. L’utilisation des masques est évidente. Κoun reste toujours fidèle à l’antiquité

La plupart des metteurs en scène, quand il s’agit d’une œuvre classique, essayent d’adapter la pièce aux exigences politiques et sociales de l’époque sans faire de grands changements, sinon en ce qui concerne les décors et les costumes. Ce type de modernité est plutôt dérisoire contrairement à l’utilisation de poupées et de robots en collaboration avec les éléments de la  technologie moderne. Le mixage des éléments antiques, contemporains avec ceux qui indiquent l’évolution des machines du futur, touchent l’esthétique des arts et construisent l’arbre généalogique de la culture universelle.

Les racines de notre civilisation se trouvent dans l’Antiquité, les poupées  contribuent à l’évolution du théâtre ; l’immense écran de cinéma et les robots font leur apparition pour adapter le théâtre classique au monde moderne, celui de la technologie. Tous ces signes dessinent le cercle de la vie, soulignent la force précieuse des arts qui n’arrêtent pas d’éduquer, de concilier et d’unir tous les peuples, en les protégeant sous le voile du théâtre antique, la source de la civilisation et de la culture.

Addenda 

Les Grenouilles d’Aristophane est une pièce qui a inspiré plusieurs metteurs en scène en Grèce, comme Carolos Koun et K. Philippoglou dont le travail suit les didascalies internes de la pièce.

Les représentations de ces metteurs en scène nous ont beaucoup marqué et influencé. Notre travail sur Les Grenouilles d’Aristophane entend  respecter l’héritage culturel du théâtre antique tout en étant adapté aux évolutions technologiques de notre société. Le spectacle sera réalisé par les troupes théâtrales de l’Université d’Athènes, de l’Institut Français d’Athènes ou de Thessalonique, par une école privée d’Athènes qui enseigne le théâtre de marionnettes.


Notes de fin

[1]Voir

[2]Voir

[3]Aristophane, Théâtre complet, textes présentés, traduits et annotés par Pascal Thiercy, Paris, Gallimard/Bibliothèque de la Pléiade, 1997, pp. 742-744.

[4]Voir

[5]Voir : P. Thiercy, Aristophane et l’ancienne comédie, Paris, Puf/ « Que sais-je ? », 1999, p. 22. 


*Mariza (Marie-Charikleia) Galani est diplômée de l’Université Aristote, Département de langue et de littérature françaises. Elle a également obtenu deux DEA et deux doctorats, l’un à l’Université de Bretagne Occidentale sur Les didascalies internes chez Aristophaneet l’autre, à l’Université d’Athènes sur Les indications scéniques dès l’Antiquité à aujourd’hui. Elle a enseigné à l’Université Aristote. Elle a publié des articles et des livres sur le théâtre.

Copyright © 2019 Mariza (Marie-Charikleia) Galani
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411

Creative Commons Attribution International License

This work is licensed under the
Creative Commons Attribution International License CC BY-NC-ND 4.0.

Print Friendly, PDF & Email
Les Grenouilles d’Aristophane face aux nouvelles technologies : Une proposition
Tagged on: