Savas Patsalidis*

Le numéro 18 de Critical Stages/Scènes critiques est maintenant en ligne, en temps voulu comme d’habitude, avec un « cadeau » spécial pour nos lecteurs du monde entier. Pour la première fois, nous avons en effet pris le risque de publier deux dossiers qui, bien qu’à l’évidence très différents, ont une chose en commun : un point d’interrogation, une aporie. Le premier demande quel est l’état du théâtre et des arts du spectacle en Chine aujourd’hui, le second s’interroge surl’identité de Shakespeare. On connaît sans doute beaucoup de choses sur Hamlet et Le Roi Lear ; mais sommes-nous bien sûrs de la personne qui a créé ces chefs-d’œuvre ? On peut aussi en connaître beaucoup sur l’économie chinoise contemporaine, sur Mao et sa révolution culturelle, et sur l’Opéra de Pékin, mais que savons-nous vraiment de la situation actuelle du théâtre dans ce gigantesque pays où communismeet capitalismemarchent main dans la main, d’une manière inconnue dans le reste du monde ?

Selon un rapport officiel cité par Raymond Zhou, écrivain et critique vivant à Pékin (American Theatre, mai/juin 2017) :« À Pékin seulement, il y a eu 24 440 représentations de spectacle vivant en 2016, qui ont rapporté 1,7 milliard de yuans (247,7 millions de dollars) en recettes au guichet pour 10,7 millions de spectateurs au total. »Dans le plus important pays du monde, l’essentiel du théâtrese déroule toujours à Pékin, et dans une moindre mesure dans la ville plus cosmopolite de Shanghaï. Dans le reste du pays, on trouve un bon nombre de spectacles de variétés à grand déploiement, surtout soutenus par l’État, mais pas beaucoup de théâtre étranger, qui permettrait d’y voir aussi du théâtre verbal, plus exigeant.

Pour ce qui est de l’opéra chinois traditionnel et de ses nombreuses variantes, on sent bien sa présence et sa pertinence, mais on la met aussi en question chez les jeunes artistes ; le mélange de classicisme et d’esthétique contemporaine constitue un sujet brûlant dans plusieurs articles de ce dossier réuni par le professeur Peng Tao. Depuis les deux dernières décennies, le secteur privé se développe rapidement, bien que les compagnies subventionnées se partagent encore la part du lion. Les publics se multiplient en nombre, les jeunes étant le groupe d’âge qui croît le plus vite. Ils ont le plus d’influence, ce qui se comprend. Mieux informés, plus extravertis, ils sont plus prompts à accueillir la nouveauté, la fraîcheur, à relever des défis. Cela fait pression sur les artistes du pays pour qu’ils se réinventent et prennent des risques.

Pour ce qui est du second dossier sur la paternité des œuvres de Shakespeare, le professeur Don Rubin le coiffe adroitement d’un titre parapluie, sous forme de question pour tous les articles choisis : « L’homme de Stratford a-t-il vraiment écrit les pièces ? » Et si non, demande-t-il ? Est-ce que l’authorship a encore de l’importance ? Est-ce que cela devrait, ou pourrait en avoir ? Lesquestions qui se posent depuis des années ne s’évanouiront pas. Elles « hantent » encore les chercheurs partout dans le monde. Rubin le précise avec bonheur : « La question de l’identité de l’auteur dans les études shakespeariennes pousse littéralement des milliers d’universitaires, de critiques, d’artistes du théâtre et des centaines d’autres chercheurs dans des domaines tels l’histoire, le droit et la médecine à remettre en question l’attribution traditionnelle du nom ‘Shakespeare’ à un homme dont on n’a jamais prouvé qu’il a été éduqué, dont la famille était illettrée et qui n’a jamais vraiment affirmé qu’il était l’auteur. Vraiment ? Oui, c’est vrai. Alors, ne devrions-nous pas au moins avoir la curiosité de vérifier ? » demande Rubin. Oui, monsieur Rubin cela nous intéresse ; et Critical Stages/Scènes critiquesest disposée à donner suite à cette discussion si nécessaire.

À cause du grand nombre d’articles dans ces deux dossiers, nous avons décidé de les publier en deux fois. La première mise en ligne comprendra le dossier chinois, la section des entrevues, celles des comptes rendus de spectacles et d’ouvrages, ainsi qu’une partie consacrée au dernier des lauréats du prix Thalie, le réputé professeur Hans-Thies Lehmann.

Dansla seconde mise en ligne, qui paraîtra quatre semaines plus tard, on trouvera le dossier sur la paternité des œuvres de Shakespeare, plus la section des essais et celle des rapports sur l’activité théâtrale dans les différents pays.

Au total, il y aura donc 43 articles écrits par 40 auteurs, plus 9 entrevues effectuées par 9 personnes et 3 discours en hommage à M. Lehmann, par Peng Tao, Emmanuel Dandaura et Deepa Punjani, à l’occasion de sa réception du prix Thalie, et le discours du lauréat Monsieur Lehmann. Cela donne une série exceptionnelle d’articles (57 en tout) venant des quatre coins du monde, de l’est comme de l’ouest, du nord au sud : Inde, Nigéria, Australie, Chine, Grèce, Allemagne, Afrique du Sud, Martinique, Turquie, Roumanie, Suède, Canada, Angleterre, Hong Kong, Bulgarie, Russie, Israël, Écosse, et plusieurs autres pays. Les trois dirigeants de notre revue (Jeffrey Eric Jenkins, Don Rubin, respectivement directeur de la publication et administrateur, et moi-même comme rédacteur-en-chef) ont donc de bonnes raisons d’être fiers de ce que nous offrons à nos lecteurs du monde entier. Je suis sûr qu’ils y trouveront beaucoup d’éléments dignes d’intérêt.

Les professeurs Peng Tao et Don Rubin ont réalisé un travail exceptionnel pour choisir et réviser les deux dossiers. Je ne pourrai les remercier assez. Matti Linnavuori et Don Rubin ont, une fois de plus, généreusement consacré de leur temps précieux à choisir et mettre en forme les articles des sections des comptes rendus de spectacles et d’ouvrages. Qu’ils soient aussi remerciés. Je dois également beaucoup à Yun Cheol Kimet à Deepa Punjani pour leur soutien. Mes remerciements particuliers vont aussi à Michel Vaïs, Mark Brown et Lissa Tyler Renaud pour la révision linguistique méticuleuse qu’ils font de tous les articles. J’aimerais enfin témoigner de ma gratitude à tous les auteurs de ce numéro dont la contribution a ouvert pour Critical Stages/Scènes critiques de nouvelles perspectives vers de nouveaux univers du théâtre.

NOTE SPÉCIALE DE REMERCIEMENT : Pour l’achèvement de ce numéro, tous les membres du Comité éditorial de Critical Stages/Scènes critiques et ceux du Comité exécutif de l’AICT doivent un remerciement spécial à Mme Jin Xing et à son école de danse pour son soutien financier inestimable. Merci beaucoup !

Nous remercions aussi chaleureusement Jeffrey Eric Jenkins, directeur de la publicationde Critical Stages/Scènes critiques et membre du Comité exécutif, ainsi que le Département de théâtre de l’Université de l’Illinois à Urbana, qui ont généreusement soutenu la publication desnuméros 8-16 (juin 2013-jan 2018) et à l’Université Aristote de Thessalonique, qui héberge notre revue et fournit le soutien technique gratuitement. C’est grâce à tous ces gens et à ces institutions que notre publication est rendue possible.


*Savas Patsalidis est professeur de théâtre ainsi que d’histoire et de théorie du spectacle à l’École d’anglais (Université Aristote), à l’Université libre hellénique et à l’Académie théâtrale du Théâtre National du nord de la Grèce. Il est aussi régulièrement chargé d’enseignement au Programme des études supérieures du Département de théâtre (Université Aristote). Il est l’auteur de treize livres sur le théâtre et sur la critique et la théorie du spectacle, et coauteur de treize autres. Son ouvrage en deux volumes Theatre, Society, Nation (2010) a reçu le prix du meilleur ouvrage théâtral de l’année. Outre ses activités académiques, il œuvre comme critique de théâtre pour les revues Web lavart, parallaxi, et le projet greekplay. Président en exercice de l’Association hellénique des critiques de théâtre et des arts du spectacle, il est rédacteur en chef de Critical Stages/Scènes critiques, la revue de l’Association internationale des critiques de théâtre.