Serge Ouaknine*

Résumé: Les interfaces technologiques et visuels ont radicalement transformé la relation médecin-malade. Les écrans ont modifié la qualité de présence et d’annonce du médecin face aux malades. Le médecin s’adresse à la maladie, aux organes et non à l’être du patient. Tests médicaux, marqueurs chimique, radios, IRM ont raccourci le temps du diagnostic mais aussi la nature même de la parole du médecin. Face à une maladie grave comme un cancer, la médecine s’adresse à des « organes sans corps ». Être un « patient » suppose un temps d’attente, une « patience » pour souffrir la lecture du médecin. Autrefois le médecin posait des questions exerçait une palpation du corps pour localiser des douleurs. La parole était un outil de diagnostic mais aussi d’écoute du malade. Désormais l’omniprésence des écrans court-circuite le récit de vie du malade.  Le « temps court » de la médecine ignore la condition existentielle du patient atteint d’une maladie grave. Il y a un conflit entre la présence immédiate du patientet la panoplie d’objets qui le médiatise et « parle » pour lui. Pour répondre aux plaintes et frustrations grandissantes des malades, un médecin cancérologue le Prof Marc Ychou, et un metteur en scène et écrivain, Serge Ouaknine, ont créé des Ateliers Théâtre et Médecinepour humaniser l’annonce du médecin. Avec des acteurs préparés à cet effet, différents cas cliniques et situations sont joués face aux médecins qui apprennent à réagir autrement, depuis une simple poignée de main à l’exposé d’une annonce de maladie grave, de récidive ou de passage en soins palliatifs. Le geste, la distance et la proximité, l’attitude et la voix sont travaillés et modifiés, en tenant compte des réactions du malades. La forteresse de docteur est cassée, la nature d’un tempsest changée, à égale distance entre l’art et la science. Le succès prodigieux de cette expérience à Montpellier en France s’est étendu, en amont, à initier les étudiants en médecine à la relation médecin-malade. L’article présente et analyse cette méthode de sensibilisation du monde médical, mais aussi porte une réflexion sur la nature du temps lui-même dans la relation médecin malade.

Mots-clés: Annonce, diagnostic, procédure médicale, temps, relation médecin-malade, présence, simulation, formation de l’acteur, théâtre et médecine, humanisation médecine, maladie grave, présence et parole

Dans le monde médical, les écrans nous font croire un instant que nous pouvons triompher de notre « finitude » par la seule ampleur donnée aux images. Les médiatisations technologiques nous donnent l’illusion de vaincre la mort, dans leurs interfaces, éperdues d’immédiateté… Il y a un conflit d’échelle entre la présence immédiate du malade, sa vie fragilisée, et la panoplie des objets qui le médiatisent et « parlent » pour lui. La médecine nucléaire ne peut éradiquer le flux vivant qui perdure dans une fragile relation humaine, hypothéquée par la douleur et le spectre de la mort.

C’est la substance du temps qui s’en trouve altérée, celle de la rencontre entre médecin et malade. La consultation d’autrefois prenait en charge les nouvelles de la famille et le vécu intime de celui qu’on appelait « le patient », que l’on questionnait pour comprendre sa douleur cachée : cela a presque disparu. Au fil croissant des interfaces technologiques et des tests de laboratoire, l’épaisseur humaine se rétrécit et le patient se réduit à la maladie filtrée par une série d’images sur écrans et de tests biologiques. Le « patient » supposait une durée d’attente, une « patience » en souffrance de la lecture du médecin. Cette durée-là était la nature même de la consultation médicale. Le diagnostic et l’ordonnance se tissaient à cheval entre la parole du malade et la palpation du corps par le médecin. Le docteur « jouait » certes de quelques mots savants, dans une compensation emphatique ou rassurante, une sorte de théâtralité conviviale, voire magistrale, liée à son statut et sa fonction.

La parole plaçait la médecine à égale distance d’un art et d’une science. Cela n’est plus.

1) La vie transformée du malade atteint d’un cancer

À l’échelle de la vie fragilisée d’un sujet atteint d’un cancer, les intelligences nouvelles s’effritent et ne suffisent pas à chasser cette émergence de la mort, ce spectre réel éveillé par le mot « cancer ». Un “scan”, soit une image numérique de l’organe malade ne parvient pas à rejoindre le « cœur » oratoire du médecin. Le temps du malade s’est réduit à une immédiateté technique, sa présence glisse de l’état de sujet réel à celui de la maladie qui le masque et le médiatise dans une série de nodules, de métastases, de traitements conséquents par rayons ou par chimiothérapie. Sur l’écran de l’ordinateur, les couleurs du spectre lumineux viennent révéler les organes et les états du corps. Une image du dedans impose son objectivité au-dehors. Il se produit alors, pour le malade, une sorte de dédoublement entre ce qu’il devient numériquement, radiologiquement et chimiquement, et le réceptacle passif de procédures qui ignorent le récit de sa vie, son contexte, sa famille. Le malade se porte désormais dans un manque à être, une faille existentielle alors que le médecin s’adresse, lui, à la logique des organes, des marqueurs chimiques, des tests et prises de sang.

Voilà qu’il faudra chaque fois que le docteur explique et réexplique tout ce vocabulaire. Ce scénario précis et instable qui assaille et détruit les routines d’hier. Les projets. Les dépenses. Les voyages. Les espérances et les rêves.

Le malade a le sentiment qu’on s’adresse à sa maladie et non à sa personne. Aussi le moindre geste, le moindre mot du médecin, est interprété, voire « dramatisé » par le malade. C’est dire que le médecin est investi d’un rôle et d’un pouvoir et que toute défaillance, dans la relation médecin-malade, ne peut générer que spéculation nocive, abattement ou angoisse de la part de celui qui attend un salut physique et moral.

Serge Ouaknine dirigeant un atelier théâtral avec des étudiants en médecine à la Faculté de Montpellier

Tout accroissement de la qualité d’écoute, toute présence bien/veillante du médecin réconforte le malade. Aussi les attitudes, gestes et paroles du « physicien » ont un impact considérable dans l’établissement d’une part active du malade vers sa propre guérison. Manque de temps, mais aussi perte de rituel, à l’encontre même de la volonté du médecin. Il y avait une parole qui répondait, en partie, à cela, mais elle s’est éclipsée ou durcie dans la procédure technologique qui domine le rapport au malade. Et pourtant, le cœur battant du médecin est toujours là, son empathie reste entière, mais trop souvent muette, car démunie d’outils d’expression. Un cancéreux est un mort en sursis, médiatisé par la beauté froide des écrans.

Le malade se porte alors à deux vitesses, dont une lente, qui attend les bienfaits du traitement parsemé d’effets secondaires désagréables : vomissements subséquents à une chimio, tragique perte des cheveux pour une femme, moments de pertes de force et de confiance, espoirs trop forts placés dans les périodes de rémission, dépression des récidives, ou extension d’une tumeur opérée et qui réapparait ailleurs. Le malade attend une durée de rencontre plus longue ou plus « profonde ». Mais il se produit aussi en lui un changement quasi « métaphysique ». Une sorte de conscience ou d’appel religieux, l’espérance d’un miracle, l’attente d’un salut au sens quasi messianique. Le malade se demande ce qu’il a fait. À qui il doit demander pardon. Avec qui ou quoi il doit faire la paix. Un lâcher-prise advient souvent. Les femmes se refont une beauté différente sous un crâne rasé sur lequel elles placeront un foulard joyeux ou une perruque. La vie sexuelle est aussi perturbée, tant la libido se trouve occultée par un thanatos sournois.

2) Un rapport au temps différent

Ce qui s’ajoute à l’horreur d’un malade qui se découvre atteint d’une tumeur maligne n’est pas seulement la prise de conscience subite de sa mort virtuelle, mais que son rapport au temps est renversé. Le passé l’emporte, alors que le présent va totalement l’obnubiler et que le futur reste suspendu. L’essentiel va surgir et il devra y répondre. Ses priorités, ses urgences et le flot d’obligations, de choses à résoudre et qu’il pouvait hier retarder, voilà soudain qu’elles prennent un ton de nécessité pressante. Le malade attend du médecin davantage un soutien, un guide pour des décisions à prendre, vendre sa maison, faire un testament… le voilà égaré dans le labyrinthe non balisé du glissement de sa vie.

Actrice jouant une réaction de désespoir après un diagnostic de cancer présenté par un jeune médecin

L’environnement du malade est aussi bouleversé. Des divorces sont accélérés ou suspendus ! Certains enfants se marieront plus vite pour que le parent atteint soit témoin, et vivant ! Voilà une troupe de théâtre qui change de programme pour honorer (avant qu’il ne soit trop tard !) un de ses membres atteint d’un cancer et qui rêvait de voir son texte porté à la scène. Le temps est aux priorités et aux actes auxquels le malade et les siens se voient soudain confrontés. Voilà une parcelle de terrain que l’on se met à planter ! Et parfois, plus sordidement, des querelles d’héritage anticipé surgissent…

Le cancéreux attend plus que le pronostic d’un “scan”. Il veut savoir aussi comment gérer la finitude d’une vie ! Le tissu cancéreux déteint sur le tissu des proches, il parasite le quotidien de son omniprésence douloureuse.

Nous travaillons sur quatre cas de figure typiques :

  1. La première annonce de cancer
  2. La récidive ou le déplacement de la maladie
  3. L’annonce de la maladie grave d’un enfant à ses parents
  4. L’annonce du passage en soins palliatifs

Dans la conscience du public, le médecin porte encore une aura quasi sacerdotale, car il possède savoir et pouvoir sur la vie. Aussi l’Atelier Théâtre et Médecine va-t-il offrir aux médecins des exercices relationnels dits de contact, et de « jeux » parlés ou muets dans une salle appropriée, où les éclairages sont mystérieux, en pénombre, pour les décontextualiser de la lumière uniforme et trop blanche de l’hôpital, les sortir de leurs routines et les ouvrir à un souffle et un imaginaire différents. La mort rôde, autour de la douleur, tel un amant malfaisant devant lequel se trouvent la solitude ou l’appel désespéré à la famille ou aux amis lointains, pour compenser la solitude du malade, le besoin d’une parole empathique qui calmerait l’âme et encouragerait la pulsion de vivre.

Deux acteurs, un metteur en scène de théâtre et un petit groupe de médecins seront confrontés à des situations limites analogues à celles du quotidien, mais dans une densité différente. Aussi sera-t-il fait appel aux artistes pour établir des mises en situation, des simulations de cas, des mini dialogues ou monologues, des saynètes pour introduire, par le biais du jeu et d’analyses subséquentes, des situations observées ou traversées. Le contexte et les variables seront repérés, joués, au besoin modifiés, tenant compte des réflexions ou cas de figure traversés par les médecins impliqués dans l’Atelier :

  1. Des mises en jeu de scènes réelles avec des acteurs professionnels sous la supervision d’un metteur en scène.
  2. Des exercices de contact et d’écoute tels qu’on les développe et pratique dans le milieu théâtral, mais adaptés ici à la réalité du médecin.
  3. Des expériences ponctuées d’un retour verbal, mais aussi de courts écrits sur des situations vécues ou observées.
3) Fonctionnement de l’atelier Théâtre et Médecine
Lecture d’un CV fictif pour l’entraînement de la voix (apprendre à avoir un discours sensible et articulé)

1) Les rencontres ont lieu dans un cadre non médical, une scène de théâtre, une salle d’atelier, un hôtel. Il y aura des repas organisés, une expérience conviviale, donc capable d’offrir aux médecins un cadre mettant à distance les pressions du quotidien.

2) Quand nous parlons de théâtre pour médecins nous n’imaginons pas leur faire apprendre des textes classiques ou modernes ou de faire d’eux des poètes de la scène. Les drames du quotidien, dont médecins et malades sont les acteurs dans la vraie vie, serviront de cadre à des expériences de simulation dirigée, d’exercices et d’évaluation avec bonification d’attitudes. Donc, ni scène éclairée, ni salle obscure, mais un lieu ouvert, convivial, intime.

3) Le théâtre consiste à dénouer la part physique des sensations traversées par le corps médical, à « délocaliser » la relation clinique classique médecin / maladie. De quoi s’agit-il sinon, par des expériences ponctuelles, en dehors du cadre usuel de travail, de confronter des cas et des situations sobres ou extrêmes quand la relation humaine est souffrante et déstabilisante ? Il faut les repérer, les jouer, les rejouer en étant guidé, orienté pour ainsi devenir mieux préparé à sa propre mise en jeu sur le terrain clinique réel.

4) Attendu le caractère intensif et ponctuel de ce type d’action, aucune séance ne peut être manquée. Les médecins s’engagent à une complète fin de semaine (vendredi matin et après-midi, et samedi matin et après-midi) dans un espace partagé par tous, acteurs et observateurs à tour de rôle. Avec des moments de retour sur paroles, pour éclairer des démarches, des « retours d’expérience » dont seront dégagées des perspectives. De l’action nouvelle à un entendement différent.

5) C’est sur le plan de la relation humaine que le médecin va devoir gérer, non seulement la maladie, mais une multitude de stress, des urgences et décisions conséquentes, et là, l’attitude et les mots choisis seront pour le malade et les siens autant d’indices auxquels ils vont s’accrocher, pour déchiffrer ce qu’on leur dit ou ne leur dirait pas.

6) Il est vital de clarifier des règles de jeu relationnelles, d’agir à chaud ou après expérience sur des dysfonctionnements, avec l’acceptation des impondérables tels qu’ils surgissent en médecine. Il y aura donc, au cours et à la fin de chaque séance, un retour écrit puis verbalisé à haute voix par chaque intervenant et chaque participant. Qu’ai-je appris de moi-même ? Qu’ai-je découvert en observant autrui ?

7) Toutes les rencontres, tous les diagnostics, toutes les énonciations se retrouvent chargés des affects, attentes, tensions et pressions manifestes ou inaudibles du malade. Le temps médical dénoué de son stress, une patience attentive du médecin, ouvrent la forteresse de ses résistances et routines. Le malade s’en retrouve « plus serein » car le médecin est plus sobre dans l’énoncé de son diagnostic ou des procédures à suivre. Plus empathique et clair.

8) Il ne s’agit pas d’apprendre des recettes de jeu ou des « clés de communication », mais bien de découvrir des facteurs inconnus ou réitératifs de soi, de dépasser des lieux de résistance, des clichés de paroles ou de gestes, de sortir de la routine du « Bonjour madame, comment ça va aujourd’hui ? » Que peut-on espérer d’une telle phrase ? Chercher le paradoxe qui éclaire un visage, ouvre un sourire et donne confiance et désir de vivre. Oser traverser un silence. Apprendre au malade à tracer un projet de vie, simplement « pour mieux vivre », comme dit le poète St-John Perse.

Fille apprenant que son père sera transféré en soins palliatifs sans traitements réparateurs de la maladie. On s’occupe de la douleur et non de guérir

9) Enfin, un travail intense sur le langage et ses variations vocales : parler plus lentement, d’une voix plus grave, plus vibrante et chaude, parfois murmurée, parfois limpide. Percevoir l’espace de la voix, son vibrato, et la bonne distance face au patient. Oser quitter sa chaise. Avoir le réflexe de la palpation qui confirme une tumeur. Expliquer seulement après la création d’une fenêtre de confiance. Alors, de l’écoute empathique, une expression vraie. Une formulation juste dénoue une situation et porte le malade à mieux traverser son épreuve.

10) Chaque rencontre met en jeu un aspect particulier des liens qui unissent théâtre et médecine : aspects relationnel, spatial, langagier, attitude gestuelle, impact des détails dans une perspective globale. Se mettre à la mesure du patient, comme dessiner la tumeur au cerveau d’un enfant avec un visage souriant, ou lui expliquer le rôle défensif des cellules manquantes de sa leucémie.

11) Les scènes fonctionnent largement à partir d’improvisations suscitées puis commentées par le metteur en scène ou ses acteurs entraînés à pouvoir jouer les situations des malades et à improviser avec les médecins, pour exprimer ensuite leur perception de la scène.

12) Par les séances de jeu et de mises en situation, on apprendra à distinguer les processus relationnels des procédés comportementaux. Déplacer le « faux théâtre » des clichés, des formules toutes faites, reprendre et changer un jeu immédiatement, capter une alternative inconnue, sortir des expressions personnelles figées. Et ainsi accéder à un état cognitif rafraîchi. Nouveau.

13) La mise en évidence de multiples paramètres comportementaux permet un changement draconien des habitus : une relation plus souple, une écoute plus fine et une capacité de réponse fondée sur un entendement plus subtil du patient, sa fragilité existentielle. Enfin, les médecins découvrent le paradoxe du comédien, d’être à la fois impliqué en ses pulsions, tout en gardant une opérationnelle « distance clinique ». Le vrai n’est pas l’ennemi, mais la condition du juste.

4) Le temps et la présence modifiée du médecin

Le théâtre dont il s’agit ici se fait et se simplifie à même la vie, dans l’épaisseur de la douleur et du qui-vive. Les acteurs jouent tous les rôles. Tous les âges. Toutes les figures tutélaires (malade, voisin, frère, sœur, père, mère, ami, époux, enfant ou adolescent) traversent un basculement complet dès l’annonce d’un verdict de gravité ou d’une récidive, après une rémission. Et c’est là que le médecin devient la réplique du malade : à la fois scientifiquement lucide et porté par l’empathie qui accueille et entend son effroi devant la mort. Et chez le médecin qui perçoit cet abîme des clichés de langage, des mots malheureux (On va être avec vous jusqu’au bout !) surgissent et sont immédiatement notifiés et corrigés. La peur vient s’infiltrer, elle noircit l’état d’âme du malade. « Le temps se raccourcit » quand le malade se sent « dépossédé » de « sa » maladie.

Exercice de contact pour s’entraîner à une capacité de mouvement urgent ou rapide en tant que récepteur

Le théâtre au service de la médecine sensibilise et altère ce facteur temporel ! Et du malade et du médecin.

  1. Éveil et disponibilité au récit du patient, perception plus sensible.
  2. Pratique de jeux de rôles bien définis, mais aussi de situations improvisées.
  3. Une expérience articulée et sensible au langage parlé, à la présence physique.
  4. Une sensibilisation à la lecture des signes discrets ou inaudibles du corps.
  5. Une sensibilisation élargie aux affects mémoriels, le vécu secret du patient.
  6. Une plus fine écoute de soi et du malade dans l’énoncé d’un diagnostic.
  7. Une écoute et une lecture de l’autre, et sa périphérie comme la famille.
  8. Trouver la distance opérationnelle et l’action juste dans l’énonciation.
  9. Une compréhension plus subtile des proximité et distance propres au malade.
  10. Une maîtrise de soi face à l’urgence, le survenant, l’impromptu de la douleur.
  11. Une qualité d’écoute et de réponse du médecin (comment gérer l’empathie).
  12. Témoigner, conceptualiser, agir et partager des expériences.
  13. Réparer et humaniser sa qualité de présence (attitude, voix, tics, geste de routine ou parole récurrente qui échappent souvent au médecin lui-même).
  14. Être capable de tenir un discours qui ne soit ni rhétorique ni inhibant avec les proches et la famille.
Médecin parlant à travers le portrait de son patient

La proposition d’un Atelier sur les annonces difficiles entend répondre à des besoins croissants, des questionnements multiples. Simplement, parce que la douleur et l’échéance de la mort relèvent d’une condition humaine intangible, c’est là où l’art intervient ! La gestion, la maîtrise de cette part, « apparemment extérieure » à la spécialité du médecin, est capitale à son rôle « réparateur ». Art et médecine aiguisent un rapport au monde, selon des texturations et comportements analogues ; il y va d’une « matière » ventilée par la parole et l’action, non pas de l’application de procédures ou de recettes de « communication », mais d’un processus qui implique le médecin en son propre être, par-delà son savoir clinique.

La consultation s’est peuplée d’écrans, au sens propre comme au figuré. Les conditions socio-économiques n’y sont pas étrangères. Le médecin peut toujours croire qu’une radiographie, un “scan” ou un résultat d’analyse peuvent évacuer l’échéance de sa parole, ou y sursoir, la rencontre humaine demeure incontournable. La théâtralité qui s’en dégage est nouvelle, aussi pour lui. Il devra inventer, improviser son protocole et parer à ce dont il est le témoin, l’acteur et le metteur en scène.

Le regard que le médecin va porter la première fois envers son patient, la qualité de son écoute, oser partager un silence. Tous les signes porteurs sont décisifs. On n’improvise pas le passage d’un discours raisonnable à une présence sensible. La matière résiste, aussi ce « supplément d’âme » qu’offre le théâtre vient-il nuancer et filtrer la relation médecin-malade. Ainsi, les écrans et les images n’auront pas réussi à éclipser le pouvoir empathique de la voix et des mots. Et soudain le médecin perçoit qu’il a « plus de temps », simplement par le fait de s’être rendu disponible au visage de l’autre, au récit de ce double intime qu’est le patient, en attente d’attention.

La durée de la rencontre et le discours se simplifient, le médecin « prend son temps » pour chacun, comme s’il disposait de l’éternité.


*Serge Ouaknine : Reçu premier de sa promotion à l’École Nationale Supérieure des Arts décoratifs de Paris, en 1962, il séjournera ensuite deux ans en Pologne, aux Beaux-Arts de Varsovie, puis au célèbre Théâtre Laboratoire du maître Jerzy Grotowski, à Wroclaw. Docteur ès lettres et sciences humaines, directeur sortant du Programme de doctorat en Études et pratiques des Arts de l’Université du Québec à Montréal, artiste interdisciplinaire, il signe une quarantaine de mises en scène, plus de 250 publications sur le théâtre, les arts et la formation de l’acteur, des poèmes, récits et nouvelles qui lui ont valu une notoriété internationale. Depuis 2006, il est cofondateur avec le professeur de médecine Marc Ychou, à Montpellier, d’Ateliers pour médecins cancérologues, afin d’humaniser la relation médecin-malade. Depuis 2013, les Ateliers d’initiation à l’annonce par le théâtre sont devenus obligatoires aux étudiants en médecine de la Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes. Cette action a soulevé un enthousiasme retentissant auprès de la presse et des médias. Publication récente : Le Nouveau serment d’Hippocrate – le théâtre à la rencontre de la médecine (Éditions Le Manuscrit, 2017), Serge Ouaknine, metteur en scène et Marc Ychou, cancérologue. sergeouaknine@rocketmail.com

Copyright © 2018 Serge Ouaknine
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411

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Le théâtre à la rencontre de la médecine : Où : Comment briser la forteresse du temps
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