Par Jisoo Nam*
La 18e édition du Festival des arts du spectacle de Séoul (Seoul Performing Arts Festival – SPAF), qui a commencé avec Millenium, a eu lieu l’automne dernier à Séoul. Ce fut un petit événement, sans échanges internationaux ni rapport avec les festivals étrangers, ni fonds suffisants. Pourtant, les comédiens et les directeurs de théâtre se sont hâtés de s’y rendre pour voir les tendances internationales. Dans ce festival, on organise la programmation de différentes manières sur les plans de la collaboration et de la coproduction, et l’on offre des ateliers, de sorte que l’on puisse constater les tendances internationales dans plusieurs domaines : jeu, mise en scène, management, afin de contribuer à faire reculer les bornes du théâtre coréen. Ainsi, les coproductions avec Robert Wilson (Lady From the Sea) et Suzuki Tadashi (Electra) ont offert aux acteurs une occasion d’expérimenter leurs méthodes et poussé les artisans du théâtre coréen à ne pas se limiter au réalisme.
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Malgré sa réputation et ses résultats, je me demandais s’il était raisonnable de présenter le SPAF comme un événement théâtral représentatif de ce qui se fait en Corée. En effet, après 2010, sa réputation s’est dégradée et son autorité n’est toujours pas restaurée, ce qui inquiète le milieu théâtral coréen. Le problème du SPAF n’est pas simple d’un point de vue sociopolitique. Les inspections du gouvernement conservateur (2008-2016) sur la couleur politique des pièces ont remis en cause le caractère indépendant de l’événement. Mais le problème le plus grave est la disparition du directeur artistique. Le SPAF, qui n’a plus de directeur artistique depuis 2010, souffre de cette situation incompréhensible. En conséquence, l’organisation a été confiée au Korea Arts Council, qui a choisi les directeurs de programmes (PD) de théâtre et de danse. Même si on ne l’explique pas précisément, le contrôle du gouvernement et l’absence de direction artistique peuvent entacher l’indépendance du Festival, mais aussi remettre en cause son identité à cause du caractère atypique de l’organisation.
La révolution des bougies, qui a été spontanément organisée par les citoyens contre un gouvernement conservateur jugé immoral et incapable, a entraîné la création d’un nouveau gouvernement. Nous espérons maintenant que le SPAF changera en corrigeant les problèmes qui sont apparus à cette occasion. En conséquence, je me demande si l’entretien qui suit est approprié et utile à l’heure actuelle, mais le SPAF est encore considéré comme un événement représentatif du théâtre coréen. Voici donc mon entretien avec Byoung-hoon Lee, PD du SPAF, réalisé le 15 janvier 2018.
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Depuis combien de temps travaillez-vous comme PD du SPAF ? J’ai entendu dire que vous êtes directeur de théâtre et que vous vous intéressez aux échanges internationaux. Est-ce que vous pouvez présenter ce que vous avez réalisé en tant que PD du SPAF ?
Je travaille comme PD du théâtre au Festival depuis 2015. Un des problèmes était de gérer le SPAF à la suite de la démission du précédent PD à cause d’une inspection sous le gouvernement conservateur. Au début, le SPAF m’a engagé à titre temporaire, puis j’ai été nommé officiellement. Je n’avais jamais pensé accomplir une telle tâche. Avant, je critiquais souvent le SPAF. En fait, j’ai été très occupé pendant deux ans parce que j’ai commencé sans préparation. Maintenant, je pense que je peux préparer les deux prochaines années sans me presser. Je supposais qu’il y aurait un changement dans l’organisation à cause du nouveau gouvernement, mais je pense maintenant que je continuerai encore deux ans. Il faut au moins trois ans pour préparer l’événement et on n’a pas pu facilement prévoir l’avenir du SPAF à cause des problèmes sociopolitiques, du budget fixé par le Parlement et de la durée du mandat. Ce problème ne concerne pas seulement le SPAF, mais aussi tout le théâtre coréen.
Il y a longtemps que le PD gère le SPAF sans direction artistique. L’absence de directeur artistique est un gros problème, à cause du risque de perdre la direction ou le but de l’événement. En effet, le thème choisi permet de situer le discours quotidien dans l’ensemble de la programmation théâtrale, et cela devient pour les spectateurs une norme pour comprendre les tendances théâtrales. Je me demande comment on choisit le thème du SPAF car il faut prendre en considération la relation entre la sélection des œuvres et le thème, les communications entre le PD du théâtre et celui de la danse, ainsi que les critiques récentes sur le thème de l’événement.
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L’idéal est de choisir d’abord le thème et les œuvres après, mais nous n’avons eu ni le temps ni les infrastructures nécessaires pour y parvenir. Alors, on a d’abord sélectionné des œuvres et puis trouvé le mot-clé. En fait, même s’il y a un PD de danse, il n’est pas facile de trouver un mot-clé. C’est pourquoi on en cherche un dans le théâtre. C’est ainsi qu’avec Jules César de Silviu Purcarete ou The Great Tamer de Dimitris Papaioannou, le thème de l’année dernière, « Demander au passé », a été tiré de l’intérêt pour la littérature classique et pour l’histoire, le corps et l’espace du théâtre, et le thème de l’humanité. Cette année, on réfléchit à un thème. Je propose « Inquiétude », un des sujets qui me tient à cœur. J’ai envie de raconter, à travers le théâtre, différentes inquiétudes telles que celle sur le désir fétichiste dans l’existence humaine ou celle de la société à l’heure des attentats, les réfugiés et la guerre.
Je sais que le SPAF n’a pas de budget suffisant. Vous disposez de combien ? Combien de fonds sont versés ? Combien rapporte la vente des billets ? Je vois que l’événement est réduit depuis quelques années.
L’État a versé neuf cents millions. Ce n’est pas suffisant pour ce genre de festival international. Alors on compense par la billetterie. On a les mêmes revenus cette année que l’année dernière, mais ce sera plus difficile parce qu’on doit payer le salaire du Centre d’aide de l’art, le loyer, etc. L’année dernière, on a augmenté les revenus grâce aux œuvres jouées pour la première fois au Grand Théâtre, comme Mère Courage et ses enfants de Yun-Taek Lee et The Great Play du Théâtre Haddangse qui ont été présentées à guichet fermé, et j’espère que cela arrivera encore cette année. On avait beaucoup reçu il y a 10 ans : un milliard cent quatre-vingts millions au total, entre la subvention de l’État et celle de la ville de Séoul. Alors, ce n’est pas comparable au budget de cette année. En fait les fonds ne sont pas suffisants et le budget a augmenté entre temps, si bien que quelques théâtres ont failli annuler deux ou trois mois avant le Festival. Normalement, on réserve 400 à 500 millions pour les théâtres étrangers et le reste pour les spectacles locaux et les événements spéciaux. Par conséquent, il était difficile d’inviter de grands spectacles ; on en invite des petits, sauf un ou deux pour le Grand Théâtre. Voilà pourquoi nous présentons des spectacles solos depuis 2016. À propos de diversité, un théâtre de marionnette est toujours là. Ce sera le cas cette année encore.
Alors, quels sont vos critères de sélection et la manière de procéder à vos choix ?
Comme les œuvres locales sont sélectionnées par un concours, le PD a une autonomie limitée. J’encourage donc les auteurs d’œuvres intéressantes à participer au concours. J’ai envie de voir des œuvres dans lesquelles l’auteur donne une grande importance au caractère local et à l’identité. Je crois qu’il y a beaucoup d’œuvres qui montrent la nouveauté, mais rares sont celles qui cherchent profondément l’essentiel. Notamment, j’espère que la jeune génération ne fera pas que des essais superficiels. Même si le théâtre coréen semble grandi, il est un peu léger. Il est jeune aussi, parce que nous avons appris le théâtre des Japonais au XXe siècle, alors que les Occidentaux ont établi leur théâtre sur un héritage énorme. Pourtant, nous avons quand même le mérite d’avoir développé notre propre théâtre, malgré des souffrances telles que la colonisation japonaise, la guerre civile, ou la dictature et les conflits démocratiques. J’espère qu’on se concentrera à faire un théâtre qui considère profondément notre époque, notre existence, et l’être humain. Je pense que c’est ce qui caractérise le théâtre en général, au quotidien, sur les plans international et coréen, et que c’est la direction que nous devons prendre.
En ce moment, pour être sincère, le SPAF n’est pas soutenu par le théâtre coréen à cause de l’affaire des inspections, etc. J’ai envie d’entendre ce que vous pensez de vous-même et de ce que vous suggérez pour le développement, ainsi que l’effort à faire pour le SPAF.
Pour bien gérer cet événement, il faut d’abord un système indépendant de la politique. Mais ce n’est pas à moi de le dire parce que cela dépend de la politique. Pour ma part, je dois renforcer le SPAF en tant que PD. J’ai été très étonné que le SPAF ne possède pas d’archives sur ses 18 ans d’existence. Ce serait un grand atout. Depuis que je travaille ici, nous gardons des archives des textes de théâtre et on peut consulter sur Internet les discussions avec les spectateurs. Cette année, nous aurons plus de temps pour discuter avec les spectateurs. Parce que c’est dommage que cette activité ait lieu après le spectacle, dans un temps limité. J’ai le projet d’organiser des discussions avec les artistes, de voir les films concernés, de faire les séminaires pendant la journée de l’événement. Je pense que le SPAF doit aider à penser humainement plus.
Avant, on rêvait de devenir le plus important événement théâtral d’Asie, mais le SPAF diminue alors que le marché du théâtre chinois se développe. Est-ce que le SPAF peut retrouver sa réputation en Asie ?
Le Japon a déjà été la Mecque du théâtre en Asie, alors que la Chine a pris ce rôle récemment. Ce n’est pas facile de dépasser les Chinois dans ce domaine. J’espère que le SPAF sera capable de fonctionner en tant que marché de l’art après avoir rétabli la réputation d’un théâtre coréen indépendant. Mais je pense que ça prendra pas mal de temps. En fait, les spectateurs s’intéressaient aux théâtres étrangers. Pourtant, l’année dernière, les théâtres coréens étaient complets et les spectateurs ont beaucoup aimé Lapin blanc et lapin rouge que Nassim Soliemanpour, un jeune Iranien, a mis en scène avec des comédiens coréens. À ce propos, je pense qu’il faut faire de la publicité pour le théâtre local et trouver un soutien pour la production. Ah, il faudrait vraiment présenter le répertoire que le SPAF produit. The Great Tamer de Papaioannou était la première œuvre de production étrangère à laquelle le SPAF a participé.
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Voici ma dernière question. J’imagine que vous avez visité des festivals et des théâtres dans le monde entier. Quel endroit vous a le plus impressionné ? Et quel genre de théâtre voulez-vous nous présenter au festival en tant que PD ?
J’ai été très touché à Vilnius, en Lituanie. Les œuvres, qui étaient magnifiques, avaient un caractère expérimental et un esprit puisés dans la vie quotidienne. Quand j’ai vu une religieuse prier devant la statue de la Vierge noire et une vieille dame qui priait en passant devant, cela m’a calmé. J’ai enfin commencé à comprendre la signification et les métaphores des œuvres de Rimas Tuminas ou d’Eimuntas Nekrosius. C’est-à-dire que leur vie est liée à l’art. Ce n’est pas comme nos arts, qui montrent notre désir. Je pense qu’il n’est pas suffisant d’expliquer son attitude envers le théâtre avec les mots « passion » ou « sérieux ». Un producteur du théâtre m’a dit : le théâtre, c’est comme l’État. Des théâtres, des salles de répétition, des bureaux bien rangés, tout ça montre comment on considère le théâtre. J’ai envie de présenter des pièces de théâtre qui cherchent l’essence de l’humanité et qui touchent des gens épuisés mentalement et spirituellement.
Ça veut dire qu’on pourra voir des œuvres lituaniennes cette année ? Je vous remercie pour cette interview.
Plus d’info : www.spaf.or.kr
*Jisoo Nam est dramaturge et professeure à l’université Dongguk et de l’Institut des arts de Séoul, en Corée. Comme elle s’intéresse au théâtre contemporain, elle a écrit de nombreux articles sur les pratiques théâtrales coréennes et européennes et a aussi publié un livre intituléLe Théâtre néo-documentaire.
Copyright © 2018 Jisoo Nam
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411
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