Irène Sadowska Guillon*

Le labyrinthe magique de Max Aub, adaptation José Ramón Fernández, mise en scène Ernesto Caballero. Distribution : Julián Templado et autres – Chema Adeva, Vicente Dalmases et autres – Javier Carramiñana, Santiago Peñafiel et autres – Paco Celdrán, Julián Jover, López Mardones et autres – Bruno Ciordia, Durruti, Luis Sanchis et autres – Paco Déniz, Lisa, Teresa Guerrero et autres – Ione Irazabal, Rafael Serrador, José Jover et autres – Borja Luna, Manuel Rivelles, Paulino Cuartero et autres – Paco Ochoa, Rosario et autres – Paloma de Pablo, Tante Concha, Romualda et autres – Marisol Rolandi, Asunción Meliá et autres – Macarena Sanz, Jacinto, José Rivadavia et autres – Alfonso Torregrosa, Loluchi et autres – Mikele Urroz, Lola Cifuentes et autres – María José del Valle, Josefina Camargo, Pilar et autres – Pepa Zaragoza. Musiciens Paco Casas, Javier Coble. Scénographie et costumes – Monica Boromello. Lumières – Ion Anibal. Musique et espace sonore – Javier Coble. Creation du Centre Dramatique National Teatro Valle Inclan à Madrid, du 7 juin au 10 juillet 2016.

Max Aub (né en 1903 à Paris et mort en 1972 au Mexique), écrivain errant aux quatre nationalités : française et allemande par ses parents, espagnole par son exil en Espagne au début de la 1ère Guerre Mondiale et mexicaine, s’exilant au Mexique pendant la Guerre Civile d’Espagne, a ancré ses racines dans son œuvre. Un homme intègre, libre, indépendant, irrécupérable par les courants idéologiques, politiques, littéraires.

Quasi oubliée pendant des décennies, son œuvre (théâtre, romans, récits, etc.), sortie du purgatoire depuis quelques années, récupérée par des metteurs en scène de talent, est très présente sur les scènes espagnoles.

Ainsi Le labyrinthe magique, une traversée synthétique des six romans de Max Aub, formant un cycle de la mémoire de la Guerre Civile et de la post-guerre, composé de Camp fermé (1943), Camp de sang (1945), Camp ouvert (1951), Camp du Maure (1963), Camp français (1965), Camp des amandiers (1968) adapté par José Ramon Fernandez et mis en scène par Ernesto Caballero au Centre Dramatique National de Madrid a été un événement théâtral.

Les personnages se présentent en donnant aussi la date de leur mort. Photo par MarcosGpunto
Les personnages se présentent en donnant aussi la date de leur mort. Photo par MarcosGpunto

L’adaptation théâtrale du Labyrinthe magique par José Ramon Fernandez, un des auteurs phares de la dramaturgie espagnole actuelle, est une fresque de la Guerre Civile d’Espagne (1936-1939) dont elle relève quelques épisodes et moments fondamentaux : le premier jour de la guerre à Barcelone, la résistance en novembre 1936 à Madrid, les batailles de L’Èbre et de Teruel, avec en toile de fond l’évocation de certains événements décisifs pour le destin de l’Europe comme l’Anschluss d’Autriche par les troupes d’Hitler. Max Aub s’attache dans Le labyrinthe magique à tracer des faits, de petits événements, la partie cachée de l’iceberg de la guerre dont la grande histoire ne tient pas compte : le quotidien, des petites histoires des gens qui ont peur, qui ont faim, qui souffrent, qui aiment, qui tentent de fuir la terreur, la prison et la mort.

Dans Le labyrinthe magique l’histoire, la mémoire collective et personnelle, celle de Max Aub, fusionnent en formant un paysage humain envahi par la misère, l’horreur, mais aussi traversé par des étincelles de beauté et d’espoir. José Ramon Fernandez articule son adaptation, très chorale, autour de trois personnages qui servent de fils conducteurs, le docteur Julian Templado, le couple de jeunes acteurs de la compagnie de théâtre Asuncion Melia et Vicente Dalmases.

La barricade dans Madrid assiégé par les Franquistes. Photo par MarcosGpunto
La barricade dans Madrid assiégé par les Franquistes. Photo par MarcosGpunto

L’action dans sa version théâtrale s’arrête le 1er avril 1939 dans le port d’Alicante bombardé par les fascistes où les personnages avec leurs valises attendent en vain des bateaux pour quitter l’Espagne. La tragédie des vaincus est aussi celle des exilés et de ceux qui n’ont pas pu partir. Dans la dernière séquence sur le quai du port bombardé, d’entre les morts sur le sol se lèvent seulement le médecin Templado et un personnage avec un livre dans lequel survit la mémoire de cette tragédie décrite par Max Aub.

Comme dans certaines de ses mises en scène précédentes (La ruche scientifique de José Ramon Fernandez, Rhinocéros d’Ionesco, Galiléo Galiléi de Brecht) Ernesto Caballero donne du Labyrinthe magique une vision épurée, centrée sur l’essentiel et le métaphysique. Avec la complicité de sa scénographe Monica Boromello, Ernesto Caballero atteint ici la pureté brookienne avec sa puissante invention et son art de créer, avec peu d’éléments et d’effets scéniques, des images poétiques parfois plus fortes que la parole.

Peu de metteurs en scène ont compris aussi bien que Caballero le sens et l’emploi théâtral de la fameuse distanciation brechtienne qui constitue le principe de sa mise en scène du Labyrinthe magique. La musique (piano et batterie) et des chansons interprétées en direct font partie de la dramaturgie scénique.

Sur le plateau nu plusieurs sacs remplis de terre disposés de manière différente dans diverses scènes évoquent des tranchées, des barricades. Dans certaines séquences apparaissent des chaises, un lit, une table, une bicyclette. Avec une longue corde Ernesto Caballero crée de magnifiques images métaphoriques comme par exemple la lutte de deux camps opposés tirant la corde, évoquant la lutte fratricide dans la Guerre Civile.

15 acteurs interprètent de multiples personnages qui se présentent en entrant en scène en disant la date de leur mort. Cette forme de distanciation se double de celle du théâtre qui apporte une dimension supplémentaire en constituant un fil conducteur dans le spectacle qui commence au début de la guerre à Barcelone avec un groupe de jeunes acteurs de théâtre décidant d’aller à Madrid pour s’engager dans la lutte.

Arrivée des réfugiés républicains à la frontière française. Photo par MarcosGpunto
Arrivée des réfugiés républicains à la frontière française. Photo par MarcosGpunto

Ernesto Caballero imprime aux actions un rythme rapide, palpitant, qui crée une atmosphère d’urgence, de précipitation des événements. Les séquences se suivent avec une grande fluidité. Le travail virtuose d’éclairage de Ion Anibal crée des ambiances émotionnelles, souligne les moments dramatiques, trace ou suggère les différents lieux.

Il est très difficile de faire ressortir quelques acteurs dans cet ensemble exceptionnel qui, comme des instruments dans un orchestre, interprète avec une précision absolue et un engagement cette magnifique partition théâtrale. Le choix d’Ernesto Caballero de monter cette œuvre de Max Aub date de quelques années, il n’est pas dicté par les circonstances actuelles de guerres civiles et de fuites massives des réfugiés mais son spectacle d’une extraordinaire puissance métaphorique renvoie aux conflits et aux guerres fratricides, barbares d’aujourd’hui dont on ne voit pas la fin.


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*Irène Sadowska Guillon : critique dramatique et essayiste, spécialisée dans le théâtre contemporain. Présidente de « Hispanité Explorations » Échanges Franco Hispaniques des Dramaturgies Contemporaines. Collaboratrice de plusieurs revues dans le domaine de la culture en France et à l’étranger. Agent en France et dans les pays francophones de plusieurs auteurs de théâtre espagnols et latino-américains.

Copyright © 2016 Irène Sadowska Guillon
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411

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L’épopée labyrinthique de Max Aub