Tbilisi International Festival of Theatre. Du 5 au 8 octobre 2015.

Jean-Pierre Han*

Resserrée dans le temps – elle ne dure que quatre jours –,la vitrine du théâtre géorgien qui clôt le programme international du Festival de théâtre international de Tbilissi est d’une extraordinaire densité. Pas moins de vingt spectacles composent la programmation officielle alors qu’une dizaine d’autres sont regroupés dans le off ! Ajoutons que ces spectacles appartiennent à des disciplines différentes au sein du spectacle vivant : théâtre dramatique, danse, comédie musicale, théâtre pour jeunes spectateurs, théâtre d’objets, marionnettes, etc. Dans ces conditions, et même si on ne peut que se féliciter de cette profusion de propositions artistiques, autant dire qu’il est particulièrement difficile pour le spectateur, professionnel ou non, de suivre et de tracer un parcours cohérent. Il lui faut donc faire des choix quitte à avoir des remords par la suite, surtout après avoir discuté avec les uns et les autres.

David Upissachvili dans le rôle de Jules César, suivi comme son ombre par une sorte de Mephisto, valet, conférencier, Mamuka Loria. Copyright : Production du Théâtre National Rustaveli
David Upissachvili dans le rôle de Jules César, suivi comme son ombre par une sorte de Mephisto, valet, conférencier, Mamuka Loria. Copyright : Production du Théâtre National Rustaveli

Car, c’est une autre caractéristique de ce festival : en dehors des officielles rencontres quotidiennes matinales, la parole circule beaucoup, les échanges et les dicussions sont nombreux et toujours très enrichissants au cœur d’une petite communauté créée pour l’occasion, qui se déplace d’un lieu à l’autre, d’un spectacle à l’autre. On se perd de vue, on se retrouve, on se croise, se recroise, chacun selon son itinéraire de spectateur… Un groupe de plus de soixante-dix invités (auteurs, critiques, directeurs de théâtre ou d’institution, metteurs en scène, acteurs, théoriciens du théâtre…), venus des quatre coins du monde, côtoie les simples spectateurs. Étrange ballet auquel on participe vite de bonne grâce. Côté organisation, cela demande de la part des responsables de la manifestation une gestion aussi subtile que délicate. À cet égard, le Festival peut, grâce à l’aide d’une multitude de bénévoles, se féliciter d’être une réussite.

Quel parcours choisir ? Véritable casse-tête si l’on considère que plusieurs spectacles (cinq ou six par soirée) sont programmés à la même heure. Faut-il tenter de suivre et de rendre compte de l’offre tous azimuts du festival ou vaut-il mieux choisir un seul axe, celui, par exemple, plus classique d’une programmation purement théâtrale, pour rester dans ce seul domaine ? Dans tous les cas de figure, impossible de ne pas commencer, comme nous l’avons fait, bien sûr, par le commencement, c’est-à-dire par un spectacle de Robert Sturua, le directeur du Théâtre national géorgien de Tbilissi. Celui qui est la plus grande figure du théâtre géorgien présentait un spectacle déjà créé, Jules César de Shakespeare, un auteur auquel il s’est déjà à maintes reprises confronté et qu’il connaît particulièrement bien. D’emblée, sur le grand plateau du Théâtre Rustaveli, l’intelligence et le savoir-faire du maître qui ne présente que trois des cinq actes de la pièce de Shakespeare, apparaît : il connaît ce plateau comme sa poche, sait faire preuve d’audace (une audace bien mesurée cependant), dirige ses acteurs qui n’ont plus aucun secret pour lui avec doigté, les mouvements de groupe sont réglés avec maîtrise… On sent le metteur en scène sûr de son art, sûr des images qu’il compose à la perfection… Et pourtant on reste sur sa faim ; la mise en scène, finalement d’un grand classicisme, ne dévoile pas une vision vraiment originale de la pièce. Pas franchement de parti pris novateur : Robert Sturua assure simplement le strict minimum que l’on est en droit d’exiger d’un metteur en scène de son talent. Le spectacle se laisse voir sans déplaisir d’autant que la distribution de pas moins de dix-sept comédiens fait preuve de conviction.

La parfaite maîtrise de Robert Sturua dans les mouvements d'ensemble autour de Jules César.
La parfaite maîtrise de Robert Sturua dans les mouvements d’ensemble autour de Jules César.

Beaucoup moins réussi fut l’autre spectacle présenté par l’équipe du Théâtre Pchavela de la ville de Thelavi, une adaptation consistant surtout à raccourcir La Cruche cassée d’Heinrich von Kleist, mise en scène cette fois-ci par Nikoloz Haine-Shvelidzé qui est loin de posséder le talent de Robert Sturua,lequel apparaît cependant quand même dans le générique du spectacle. Quand le classicisme flirte avec le poussiéreux, il ne reste pas grand-chose de la belle pièce de Kleist. Passons…, de la lourdeur à la légèreté. Soit de cette Cruche cassée ratée à un spectacle dont le titre est on ne peut plus clair : Play at the table,« Jouer à table » ; avec pour tout décor une table et quelques objets dont une machine à coudre (on songe à la phrase de Lautréamont parlant de la « rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie) pour une sorte de mélange surréalisant de différentes formes et figures théâtrales assumées avec grâce par un comédien, Onise Oniani, qui nous embarque en douceur dans un univers décalé imaginé sous la houlette de Besso Koupreishvili, le metteur en scène.

Les deux Bonnes, Nata Murvanidzé et Nino Kasradzé face à Madame, Baia Dvalishvili, leur patronne aimée et haïe tout à la fois.
Les deux Bonnes, Nata Murvanidzé et Nino Kasradzé face à Madame, Baia Dvalishvili, leur patronne aimée et haïe tout à la fois.

Cela aura été le seul moment « léger » d’un parcours personnel marqué par la dureté des drames présentés. Qu’il suffise de dire que le dernier spectacle proposé lors du festival fut la Médéa d’Euripide transposée dans le monde contemporain. Un spectacle d’une noirceur et d’une violence sans concession, pas forcément toujours convaincant, signé Mikheil Charkviani. Mais on aura compris à quel point ce mythe de Médée semble hanter nos amis géorgiens puisque c’était là le deuxième spectacle s’emparant de l’histoire de la fille du roi de Colchide, Æétès…

Les Bonnes, Nata Murvanidzé et Nino Kasradzé dans leur dangereux jeu de rôles.
Les Bonnes, Nata Murvanidzé et Nino Kasradzé dans leur dangereux jeu de rôles.

En fait le vrai bonheur est venu de la présentation des Bonnes de Jean Genet, non pas tant pour l’originalité de la mise en scène signée Nika Tavadzé que pour l’extraordinaire qualité de l’interprétation qui réunissait un trio de comédiennes connues en Géorgie, Nata Murvanidzé, Nino Kasradzé et Baia Dvalishvili. Ce fut réellement merveille de les voir décliner toute la gamme des sentiments humains les plus extrêmes, passant d’un registre de jeu à un autre sans coup férir, jouant à jouer pour de vrai comme toujours chez Genet dont, paraît-il, c’était la première fois qu’une de ses grandes pièces était représentée ici. Une réussite.

L’un des buts de ce festival est d’offrir un panorama de la création géorgienne contemporaine aussi complet que possible. Considérant que ce tableau est, en ce qui me concerne, par trop parcellaire, je n’ai qu’un souhait, revenir à la prochaine édition afin de combler mes lacunes…


Han

*Jean-Pierre Han : Journaliste et critique dramatique. A créé et dirige la revue Frictions, théâtres-écritures. Rédacteur en chef des Lettres françaises. Collabore à de nombreuses publications françaises et étrangères.

A enseigné l’esthétique théâtrale et la critique dramatique pendant quinze ans à l’IET de Paris III-Sorbonne nouvelle et à Paris X.

Ancien président du Syndicat de la critique de théâtre, musique, danse française. Vice-Président de l’AICT (Association internationale des critiques de théâtre). Directeur des stages pour jeunes critiques.

Copyright © 2015 Jean-Pierre Han
Critical Stages/Scènes critiques e-ISSN: 2409-7411

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Un panorama partiel du Festival de Tbilissi en Géorgie