Savas Patsalidis [1]
Je voudrais tout d’abord remercier Yun-Cheol Kim, ex-président de l’AICT, de m’avoir invité à devenir le nouveau rédacteur en chef de Scènes critiques/Critical Stages, la revue en ligne qu’il a lancée en 2009. Je lui en suis profondément reconnaissant. Pratiquement sans aucun argent, mais avec enthousiasme et bonne foi, Yun-Cheol, soutenu par une équipe de taille et grâce au dévouement de collaborateurs de l’AICT de différentes nationalités, d’antécédents, d’âge et d’expertise variés (Lissa Tyler Renaud, Maria Helena Serôdio, Patrice Pavis, Maria Shevtsova, Don Rubin, Mark Brown, Michel Vaïs, pour n’en nommer que quelques-uns), a réussi à transformer cette revue pour en faire une plateforme d’accès libre véritablement ouverte sur l’international. Qu’il suffise de dire que le dernier numéro de la revue (#10) a reçu plus d’un million de visites, ce qui correspond à environ dix fois le nombre de visites récoltées par toute autre revue théâtrale ou savante dans le monde.
Étant donné les changements occasionnés par la culture internet, il s’agissait d’une initiative non seulement courageuse mais aussi opportune, car elle a offert un forum d’échange aux critiques de théâtre et des arts du spectacle pour discuter de la fonction et de la viabilité de la critique ; pour réfléchir davantage à leur position dans la culture (mondiale) et à la manière dont leur travail d’écriture se rattache aux relations sociales ordinaires ; pour voir comment leur travail est utilisé et comment ils réussissent à survivre dans un monde ayant peu d’intérêt pour les arts.
La réalité et l’écriture (et évidemment, la représentation) sont des éléments inséparables du monde dans lequel nous vivons. Au cœur d’une époque multiculturelle et électronique où tout se développe rapidement, dans un paysage où les pierres fondatrices de l’État providence sont progressivement démontées, avec de nombreuses formes de protection sociale, et où le financement public des arts se tarit au point d’être réduit à un mince filet d’eau, il importe que nous, critiques du théâtre et des arts du spectacle, avec les artistes, réexaminions nos instruments critiques et artistiques et nos responsabilités sociales. Nous devons élargir notre compréhension en remaniant toutes nos connaissances antérieures sur le théâtre, sur le monde et évidemment, sur nos publics. Il est bien évident qu’il ne suffit plus de satisfaire une clientèle, ni d’explorer des champs de recherche et des projets artistiques familiers. Les critiques, essayistes, chercheurs et artistes doivent continuer à s’adapter s’ils veulent être encore au cœur de la situation. Pas question d’un retour au bon vieux temps. Les effets transversaux de notre ère post-industrielle ont secoué beaucoup de vieilles convictions artistiques, culturelles et philosophiques. Nous ne vivons plus en silos, mais au milieu d’intersections, ce qui signifie que nous devons développer un discours permettant de tenir compte de l’évolution des conditions sociales, culturelles et économiques allant de la mondialisation aux migrations, en passant par la politique de l’identité, le multiculturalisme, les cultures hybrides, le trafic culturel transnational, etc. La réalité change et, comme le disait Brecht : « Pour la représenter, les modes de représentation doivent changer. Rien ne vient de rien ; le nouveau provient de l’ancien, mais c’est pour cela qu’il est nouveau. »
L’ambition de Scènes critiques est de croître, d’atteindre un lectorat encore plus grand et varié en s’ouvrant à d’autres formes d’expression artistique que le théâtre, comme la danse, l’art de la marionnette, le théâtre d’ombres, le cirque, entre autres. Scènes critiques veut relever les défis de la situation contemporaine avec créativité et courage, pour permettre la création de nouveaux horizons sociaux et artistiques convergeant tous vers l’espoir. Nous avons la conviction qu’il y a encore de la place pour une revue comme celle-ci pour interroger des sens et des paradoxes, offrant une parole critique sur le travail du théâtre et de la représentation, engagé sur les plans local et international. Nous avons la conviction que la fonction d’une revue artistique, comme la fonction de l’art lui-même, est de plaire et déranger. Plaire en canalisant des informations utiles, et déranger en forçant le lecteur à affronter ou à réexaminer les valeurs reçues dans un monde de plus en plus « interconnecté ».
Comme l’équipe éditoriale de Scènes critiques, nous estimons que ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’un théâtre et d’un discours critique prêts à se déplacer eux-mêmes et à repositionner le regard du public et des lecteurs, afin d’embrasser le multiple. Nous voulons que nos lecteurs à travers le monde considèrent Scènes critiques comme leur revueweb « locale », d’une portée mondiale.
Le présent numéro (#11) offre une série d’entrevues révélatrices dirigée par Hervé Guay du Québec, un dossier fascinant sur la nouvelle écriture dramatique dans le monde, dirigé par notre collègue japonais Manabu Noda, cinq exposés pénétrants sur la critique de théâtre présentés à deux colloques en 2014, l’un organisé par la section indienne de l’AICT en collaboration avec le Festival international de théâtre du Kerala, l’autre par l’Association chinoise des critiques de théâtre en collaboration avec l’AICT, dossier dirigé par Deepa Punjani. Quant à notre collègue de Serbie Ivan Medenica, il a réuni pour cette publication deux articles intéressants sur la problématique du théâtre contemporain. Il y a aussi un essai fort utile sur l’art de la critique par l’écrivaine et critique de spectacle britannique Diana Damian Martin, huit comptes rendus de spectacles dans le monde sélectionnés et révisés avec soin et professionnalisme par Matti Linnavuori de Finlande et cinq comptes rendus de livres très utiles sous la direction de notre collègue et ami canadien Don Rubin. Comme un des rôles de Scènes critiques consiste à offrir au lecteur en général des informations utiles, nous avons ajouté à ce numéro, comme contribution spéciale, un Guide international des festivals de spectacles compilé par Katerina Delikonstantinidou (doctorante à l’Université Aristote de Salonique, en Grèce), sous ma supervision.
Pour terminer, je dois adresser des remerciements particuliers à Jeffrey Eric Jenkins, directeur de la publication de Scènes critiques et à Don Rubin, directeur général. Ils sont toujours prêts à prodiguer aide et conseils. Je tiens également à remercier la présidente de l’AICT Margareta Sörenson et les membres du comité exécutif, qui ont offert soutien et encouragement. Je ne remercierai jamais assez tous les responsables du comité éditorial qui ont travaillé très fort pour dénicher et réviser les meilleurs articles. Mes remerciements chaleureux et particuliers vont aussi à Lissa Tyler Renaud, Michel Vaïs et Mark Brown qui ont, à coups de suggestions, de corrections et de lectures méticuleuses, énormément aidé au maintien du caractère bilingue de notre revue. Et, derniers mais non les moindres, je veux remercier la nouvelle équipe Web de la revue, Tasos Paschalis et Katerina Delikonstantinidou, qui ont travaillé de longues heures à télécharger, formater et mettre en ligne les articles pour que tout cela se réalise, et les lecteurs anonymes de la revue dont les commentaires ont toujours constitué des avis précieux.
J’espère que ce numéro sera fidèle à leurs attentes ainsi qu’à celles des personnes qui me font confiance.
[1] Savas Patsalidis est professeur de théâtre au Département des études anglaises de l’université Aristote de Salonique. Il enseigne aussi au Département de théâtre dans la même université, au sein du programme des études de 3e cycle, ainsi qu’à l’École dramatique du Théâtre National de Grèce du Nord. Parallèlement, il collabore, en tant que critique de théâtre, à deux quotidiens grecs. Son livre intitulé Théâtre, Société, Nation a obtenu en 2010 le prix de l’Association grecque des critiques de théâtre pour le meilleur essai en théorie du théâtre. Note : pour une notice biographique détaillée, voir : savaspatsalidis.blogspot.com.